Décédée en novembre 1998 alors qu’elle préparait activement cette monographie Kiefer, Monika Droste laisse Guy Rombouts poursuivre une « œuvre de langage » en perpétuelle métamorphose.
GAND - Vedette du retour à la figuration qui avait marqué le début des années quatre-vingt, Anselm Kiefer expose dans le musée animé par Jan Hoet une série imposante d’œuvres réalisées entre 1996 et 1999. Autant dire que le peintre de la mémoire allemande interroge ici les ultimes instants d’un XXe siècle qui aura constitué pour son pays un point de rupture. Il s’agit de fixer la mémoire alors les thématiques qui hantent cette œuvre noire, lourde de pessimisme et de romantisme, n’ont pas déserté l’avant-scène de l’actualité. Tandis que la barbarie fleurit à nouveau au cœur de l’Europe, Kiefer déploie d’entrée de jeu des tableaux amples et denses comme des murs lézardés qui sont autant de ruines d’un passé proche. Ses toiles monumentales, ses sculptures et ses environnements hermétiques s’imposent comme les signes d’une actualité qui joue de l’éternel retour.
Comme toujours, la densité des compositions mêle à la culpabilité désormais archétypale du nazisme les traces d’une vie intime mise à nu par l’histoire. La peinture a conservé ce sens de la blessure que l’objet, sculpté dans la masse, prolonge anxieusement. Qu’il soit réel ou représenté, l’objet est à la fois présence et évocation. L’épisode biblique surgit d’une chemise crucifiée sur l’autel de la matière. En romantique, Kiefer reste attaché à la valeur symbolique qui érige l’image en témoignage sensible. L’universalité du discours ne réside pas dans un jeu de codifications aisément reconnaissables, mais dans l’animisme d’un geste qui tend naturellement à l’écriture. Avec ses couleurs lourdes de pessimisme, avec ses objets salis par l’existence, avec ses matières surgies d’une réalité anéantie, Kiefer écrit l’histoire moderne tout en constituant son identité à travers les replis de sa mémoire à vif. Le livre prend ainsi une valeur emblématique en se déployant, monumental, comme autant d’objets qui sont aussi les traces laissées par l’artiste : lourde, l’écriture s’ancre dans un papier maculé de sperme pour mieux souligner cette fusion de l’homme et du temps dans la même solitude déchirée.
Picturale, l’œuvre ne s’en constitue pas moins un témoignage philosophique des incertitudes qui semblent hanter un XXe siècle qui, pour Anselm Kiefer, tarde à mourir.
- ANSELM KIEFER. ŒUVRE RÉCENTE 1996-1999, jusqu’au 24 avril, SMAK, Citadelpark, tél. 32 9 222 17 03, tlj sauf lundi 11h-18 h.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Fixer la mémoire
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°101 du 17 mars 2000, avec le titre suivant : Fixer la mémoire