Rénovée et modernisée dans ses structures, mais inchangée quant à ses choix critiques et sa programmation, la Serpentine Gallery de Londres rouvre avec une exposition consacrée à Piero Manzoni. Parmi les cent cinquante œuvres présentées, exécutées entre 1957 et 1963, figurent des Achromes, Œuf avec empreinte, Merde d’artiste, Base Magique, Haleine d’artiste et quelques exemplaires de la série des Lignes.
LONDRES. Le commissaire de l’exposition “Piero Manzoni” n’est autre que Germano Celant. Conservateur au Solomon R. Guggenheim Museum de New York, directeur de la Biennale de Venise 1997 et auteur du Catalogue raisonné de Manzoni, il s’exprime ici sur la contemporanéité de l’Italien.
Germano Celant, quelles raisons historiques ou critiques vous ont poussé à organiser cette exposition à Londres ?
Je pense qu’en cette fin de millénaire, il est nécessaire de repenser à certaines figures, de Manzoni à Warhol, dont les univers sont des références pour l’art contemporain. Warhol est important pour son mouvement à 360 degrés, de la publicité à la mode, de la télévision à la sensualité puis au glamour, de la consommation à la photographie. Pour ce qui est de Manzoni, je crois que sa contribution réside dans le déchiffrement d’un univers froid et sans vie, qui apparente sa recherche à une investigation de la mort.
Quel est le fil conducteur reliant les œuvres exposées ?
Les Achromes sont des tableaux dénués du geste et de l’action propres à l’Action Painting et à l’Expressionnisme abstrait. Ils véhiculent une condition désertique et silencieuse, presque comme s’ils étaient les reliques d’une vie passée dont l’“artiste”, martyr ou héros, est désormais exclu, au point de ne pouvoir y projeter quoi que ce soit de pulsionnel ou d’inconscient. Les surfaces achromatiques de Manzoni sont presque métaphysiques. En complément de celles-ci, se déploie toute la gamme des déchets ou des scories du corps – des excréments au sang –, à côté de corps d’autres personnes signés comme des œuvres d’art. On est proche ici d’un amour pour l’énergie perdue, ce “double organique” (haleine, sang, excréments) dans lequel le vivant se fait objet inanimé et inerte. De même, les corps marqués ou modifiés subissent un sort semblable. La signature les pétrifie en une sculpture de marbre. Ainsi, si dans les petites “boîtes de merde” le produit s’humanise, dans la sculpture vivante, l’humanité se cristallise. Ce n’est pas un hasard si un projet de Manzoni, daté de 1959, prévoyait d’”enfermer et de conserver une personne morte dans des blocs de plastique transparent”.
Pourquoi la Serpentine Gallery de Londres a-t-elle décidé de rouvrir avec Manzoni ?
Les thèmes de la mort et de la congélation de l’image sont récurrents chez les artistes des années quatre-vingt-dix, de Robert Longo à Joel Peter Witkin, d’Andres Serrano à Damien Hirst. Il me semble donc important de réfléchir à une relecture du rite de la création et du rapport entre art et mort. La décision de présenter l’œuvre de Manzoni à Londres, son invitation à la Serpentine Gallery entrent dans cette exigence de conceptualiser historiquement tout ce qui se passe en Europe dans le domaine de la vision charnelle et sensuelle du corps. L’acceptation, sous toutes ses formes, d’une corporalité banale et quotidienne dans l’art actuel, anglais et américain, constitue un contexte idéal pour mesurer la contribution de Piero Manzoni à notre histoire présente.
PIERO MANZONI, jusqu’au 26 avril 1998, Serpentine Gallery, Kensington Gardens, Londres, tél. 44 171 402 6075, tlj 10h-18h.
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Février 1998 - Germano Celant : Manzoni, l’art et la vie
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Abonnez-vous dès 1 €Légende photo : Piero Manzoni - 1961 - © archives Manzoni
Site Internet : archivio opera Piero Manzoni
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°55 du 27 février 1998, avec le titre suivant : Février 1998 - Germano Celant : Manzoni, l’art et la vie