Plus que Monet, le japonisme ou le préraphaélisme, c’est la nature qui a nourri l’œuvre musicale de Claude Debussy.
PARIS - Claude Debussy à l’Orangerie ? Une évidence, si l’on sait la passion sans bornes que lui porte Guy Cogeval, président des musées d’Orsay et de l’Orangerie. Une récidive, si l’on tient compte de la petite exposition que lui avait consacré ce même admirateur, alors pensionnaire en histoire de l’art à la Villa Médicis à Rome, au début des années 1980. Une occasion rêvée, enfin, d’admirer la « Cathédrale de l’impressionnisme » au son des volutes musicales du compositeur, dont on célèbre cette année le 150e anniversaire de la naissance. Enfermer un musicien dans les salles d’un musée est un exercice difficile. Si la Cité de la musique en est devenue la spécialiste en multipliant les correspondances heureuses entre œuvres d’art et bornes d’écoute, l’Orangerie s’est concentrée sur l’aspect visuel de cette immersion sensible. Au fil des salles prend forme l’intimité artistique dans laquelle Debussy a évolué et de laquelle il s’est imprégné, tout en révolutionnant le 4e art. Si les grandes décorations des Nymphéas de Claude Monet s’accommodent à merveille des compositions de Debussy, le musicien était le premier agacé de cette étiquette de « compositeur impressionniste » dont il était déjà affublé de son vivant. « Debussy et les arts » vient corriger le tir en déployant l’éventail des influences plastiques du musicien : arts asiatiques et japonisme, préraphaélisme, Grèce antique, symbolisme… Se démarquant avec joie du « parcours monographique jalonné de souvenirs et d’objets ayant appartenu au musicien, au risque d’un fétichisme inventorial », les commissaires se sont plu à rassembler des œuvres d’une qualité hors pair – saisissante esquisse pour The Blessed Damozel, de Dante Gabriel Rossetti ! La scénographie alterne épisodes biographiques concrets et contemplations abstraites invoquant la synesthésie, pour un résultat qui manque cependant de fluidité et de clarté pour les non-initiés. D’un côté, le lien manifeste entre les petites figures féminines antiques et le Prélude à l’après-midi d’un faune, ou les projets de costumes et de décors signés Léon Bakst pour Le Martyre de Saint-Sébastien. De l’autre, les œuvres évoquant l’esprit de Pelléas et Mélisande : les amours contrariés d’Edvard Munch ou la somptueuse Chevelure d’Henri-Edmond Cross qui ne se livre qu’à celui qui y verra l’allusion aux mèches infinies de Mélisande dans lesquelles Pelléas se perd ; les crans de la chevelure, qui donnent l’illusion d’un gondolement de la toile, font eux directement écho aux arabesques formés par les notes de musique… Car il ne se laisse pas appréhender avec facilité, cet hommage mérite une lecture en amont du catalogue qui l’accompagne – les deux se répondent plus qu’ils ne se complètent. Ténébreux, élitiste, volontiers cassant, Debussy y est portraituré comme un dandy collectionneur, un « affolé » de l’art japonais, un travailleur acharné et discipliné. Épousant l’esprit fin de siècle avide de redonner une dimension sacrée à l’art, Debussy faisait de l’observation de la nature le cœur de son œuvre. « Voir le jour se lever est plus utile que d’entendre la Symphonie Pastorale », disait-il. Mais contrairement aux peintres dits « impressionnistes », il cherchait à en capter l’esprit, l’émotion intrinsèque, plus qu’à en saisir un instantané. L’œuvre de Debussy ne se découvre pas mais se ressent – et à l’Orangerie la dernière salle consacrée à la nature comme source inspiratrice vise juste. L’accrochage souligne à quel point le compositeur trouvait aussi bien son inspiration « sur le motif » que dans la peinture de ses contemporains. Devant la Marine d’Edgar Degas (1869), les perceptions musicales affluent : délicatesse, transparence, sensation d’infini… sont autant de qualificatifs pour le pastel du peintre des danseuses que pour la musique du compositeur de La Mer qui, enfant, n’avait qu’un rêve : être marin.
Commissaires : Guy Cogeval, président des musées d’Orsay et de l’Orangerie ;
Jean-Michel Nectoux, conservateur général, musicologue au CNRS ; Xavier Brey, conservateur au musée d’Orsay
Itinérance : Bridgestone Museum, Tokyo, Japon, 13 juillet-14 octobre 2012
Jusqu’au 11 juin, Musée de l’Orangerie, Jardin des Tuileries, 75001 Paris, tél. 01 44 77 80 07, www.musee-orangerie.fr, tlj sauf mardi et le 1er mai, 9h-18h. Catalogue, coédité par le musée d’Orsay et Skira Flammarion, 208 p., 35,50 €, ISBN 978-2-0812-7972-8
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°364 du 2 mars 2012, avec le titre suivant : Extension du domaine du sensible