« Et mon cœur a vu à foison », danse monstre d’Alban Richard

Par Céline Piettre · L'ŒIL

Le 20 février 2014 - 328 mots

« Et mon cœur a vu à foison est une pièce [chorégraphique, théâtrale et musicale] toute en exubérance gothique, qui force le trait, dépasse la mesure : une pièce monstrueuse », explique son auteur, Alban Richard.

Démesurée, cette création pour onze interprètes conçue dans le cadre d’une résidence au Théâtre de Chaillot l’est déjà par la masse de références qu’elle brasse et entraîne avec elle dans un flux continu. Sa matière première : l’iconographie médiévale, celle des tapisseries et des peintures de Dürer et de Fra Angelico – triomphes de la mort, apocalypses –, les possessions démoniaques et les guérisons miraculeuses d’Andrea del Sarto et de Rubens, les estampes de Goya, les films d’Argento ou de Zulawski, les transes rituelles. On y retrouve les saintes en extase et les hystériques de la Salpêtrière du duo Luisance (2009), derrière lesquelles se dissimulent les sorcières de Dürer (Les Vœux du nouvel an) ou les « possédées » de Brueghel (La Danse de Saint-Guy). Exclusivement masculins, les interprètes de Et mon cœur a vu à foison seront ainsi « hantés par des corps de femmes », ces femmes qui, pendant longtemps, n’ont pas eu le droit de monter sur une scène de théâtre, obligeant les hommes à se travestir pour jouer leurs rôles – clin d’œil en passant aux théâtres nô, balinais, shakespearien, également charriés ici, dans ce torrent référentiel. Une démesure qui s’exprimera encore dans la structure même de la pièce, divisée en sept « chambres », tels les sept panneaux d’un polyptyque. De ces excès de composition naîtra une danse de la métamorphose, de l’inversion et du débordement. Une danse défigurée, déformée, à l’identité et aux contours extensibles. Une danse littéralement au-delà des normes. Les corps, arrachés par intermittence à la vision, au rythme des clairs-obscurs, s’amalgameront avec la musique et une matière textuelle convoquée sur scène, formant un seul et unique organisme. Et on sait à quel point Alban Richard maîtrise à la perfection cette science du mélange.

Quoi ?
Et mon cœur a vu à foison

Où ?
Théâtre national de Chaillot, Paris

Quand ?
Du 5 au 7 mars 2014

Comment ?
theatre-chaillot.fr

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°666 du 1 mars 2014, avec le titre suivant : « Et mon cœur a vu à foison », danse monstre d’Alban Richard

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