On ne voit jamais son visage, mais on entend sa voix expliquer pourquoi elle porte une perruque. Elle est soupçonnée de terrorisme et dissimule sa véritable identité, tandis que sur un autre écran, une autre femme explique son postiche comme une conséquence directe et terrible de son cancer.
Les témoignages de ces femmes portant des substituts capillaires, recueillis par Kutlug Ataman, se déploient pendant une heure, sur quatre écrans. Victor Kossakovsky a filmé quant à lui pendant un an,
la rue en travaux en bas de chez lui à Saint-Pétersbourg. Pour le tricentenaire de la ville, les chantiers se sont multipliés, provoquant des situations incongrues, absurdes ou comiques que l’on découvre au long des quatre-vingts minutes de filmage patient et méticuleux. Feriez-vous la différence entre un documentaire d’artistes et un documentaire de cinéaste ? C’est bien parce qu’il n’y a aucun raison et même aucun intérêt à s’embarquer dans ce genre de considérations, que Jean-Pierre Rehm, actuellement aux commandes du Festival international du documentaire de Marseille, et Marta Gili, directrice artistique de la Caixa Forum et du dernier Printemps de septembre à Toulouse, ont réuni toutes sortes de documents et documentaires pour en finir avec les définitions et les cloisonnements. Et cela marche, en un mois, l’exposition a accueilli déjà 50 000 visiteurs patients et disciplinés, en espère ainsi 150 000 à sa clôture. L’époque est au documentaire, preuve en est le succès international de Bowling for Columbine de Michael Moore et la quantité de longs métrages documentaires visibles dans les cinémas. Aujourd’hui, le public, pas plus que les auteurs ne peuvent se satisfaire de la seule fiction à bout de souffle. Au fur et à mesure que le monde se dérègle, sombre dans la globalisation et l’uniformité, l’artiste, le cinéaste et le regardeur, ont besoin de proximité, d’un regard au microscope sur ce qui ne fait pas forcément l’événement ou l’évidence, la vie de tous les jours et son cortège d’improbabilités, d’incompatibilités, de silences et d’accidents mineurs. Le politique est ainsi le maître mot du documentaire, avec l’éthique et l’authenticité, la vérité, autrefois symptômes du réel, sont ici réorchestrés, subjectivés. Et le documentaire ne se satisfait plus du recours systématique au descriptif, à l’information, au discours, à une certaine efficacité de l’image et du montage. Désormais, les longueurs, les accidents de réalisation, les silences, les attentes se mêlent aux témoignages en plan-portrait, aux documents historiques, au son direct et signent ce que Hito Steyerl appelle dans le catalogue (fort réussi d’ailleurs), « la documentalité ». L’exposition et la sélection impeccable de films s’en font le digne reflet.
« Fictions documentaires », BARCELONE, Caixa Forum, av. Marquès de Comillas 6-8, www.fundacio.lacaixa.es, jusqu’au 27 juin.
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Esprit de contradiction
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°559 du 1 juin 2004, avec le titre suivant : Esprit de contradiction