Si les célèbres expositions « Paris-New York », « Paris-Berlin » et « Paris-Moscou » du Centre Pompidou ont marqué toute une époque, celle qui se tient actuellement au Martin Gropius Bau de Berlin devrait éclairer celles de l’avant et de l’après-mur de Berlin. En effet, les relations Est-Ouest désormais au cœur de l’élargissement européen ont pu traverser la création plastique depuis l’après-guerre sans qu’on se soit précédemment penché sur la question de manière significative. C’est donc un point de vue sociohistorique qu’a choisi l’équipe de six commissaires à l’origine de cette exposition monumentale : prendre l’axe « Berlin-Moscou » en tant que prétexte à exposer deux types d’art qui peuvent désormais s’hybrider.
Ce vaste panorama artistique met avant tout l’accent sur les liens entre les formes existant de part et d’autre du rideau de fer. Ainsi le tristement célèbre réalisme socialiste se verra affublé par Konrad Lueg et Gerhard Richter d’un double, le « réalisme capitaliste », né en 1963, deux ans après l’édification du Mur. Leur variante ironique du Pop Art ne peut alors s’empêcher de prendre en compte dans sa dénomination la mémoire de « ceux de l’Est » astreints à des codes picturaux idéologisés. Si le premier perdure jusqu’au début des années 1980, un art anti-conformiste se développe parallèlement en Russie dès la fin des années 1950 : la peinture d’Igor Makarewitsch de 1973 représentant des cadavres de communards stylisés (d’après la célèbre photographie d’Eugène Disdéri) en est un exemple des plus représentatifs. Si cet art alternatif peine à se détacher des thèmes officiels, il contraste d’autant plus avec la création d’Allemagne de l’Ouest de son époque. Cette dernière est en effet détachée de toute dépendance à un médium particulier (la photographie, la vidéo, la performance coexistent, notamment au sein de l’influente composante allemande de Fluxus) ; quant à la peinture, son indexation à la réalité peut être des plus aléatoires, comme chez ces nouveaux maîtres que sont Georg Baselitz, Anselm Kiefer et Markus Lüpertz. Et pourtant la référence à l’Est semble récurrente dans l’art de la RFA : Martin Kippenberger peint en 1983 de manière provocatrice un portrait de jeune femme affublée d’un chapeau portant l’étoile rouge, Joseph Beuys organise une action-manifestation le 1er mai 1972 sur la place Karl Marx de Berlin-Ouest.
Or l’exposition montre aussi des artistes étrangers à l’Allemagne et aux pays de l’ex-Urss dont des œuvres peuvent entretenir un lien thématique avec les relations Est-Ouest. Parmi tant d’autres, Pablo Picasso (dont un dessin à la plume intitulé Staline, à ta santé laisse bien songeur aujourd’hui) Andy Warhol, Jeff Wall, Art & Language, Allan Kaprow et son Sweet Wall : une action menée en 1976 par l’artiste américain et consistant à construire, par esprit de dérision, un mur dans un quartier de Berlin-Ouest. Preuve que la séparation historique de la planète en deux parties hante une bonne part de la création plastique de l’époque, bien au-delà de Berlin et de Moscou.
Contrairement à ce qu’indique son titre, « Berlin-Moscou/Moscou-Berlin 1950-2000 » rend compte d’une création qui s’étend jusqu’aux trois premières années de ce nouveau siècle. Parmi les œuvres les plus récentes, les toiles grand format de Dubossarski & Winogradov, deux peintres moscovites qui reprennent les codes figuratifs du réalisme socialiste.
Or les sujets qu’ils représentent, la guerre et le mariage, semblent décalés par rapport aux thèmes de l’ancienne peinture officielle soviétique. D’autant qu’ils les traitent avec un kitsch des plus tapageurs, les couleurs sont vives, les personnages grotesques et relèvent d’une manière plutôt désinvolte de tourner la page d’un passé torturé. Beaucoup plus technologiques, mais pas moins intéressantes, sont les œuvres d’un autre jeune artiste originaire de l’Est, Carsten Nicolai qui copie l’onde d’un signal électronique dans des peintures aux motifs géométriques hypnotiques. L’art occidental a été complètement assimilé, un phénomène récurrent dans la nouvelle création des pays de l’Est : tout en préservant le plus souvent sa touche personnelle, celle-ci semble désormais intégrée à une création mondiale recomposée.
« Berlin-Moscou/Moscou-Berlin 1950-2000 », BERLIN, Martin Gropius Bau, Niederkirchnerstrasse 7, tél. 49 (0)30 254 860, 28 sept.-5 janv. 2004. Puis à la galerie Tretiakov de Moscou, 21 mars-15 juin 2004.
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D’Ouest en Est, aller et retour
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°553 du 1 décembre 2003, avec le titre suivant : D’Ouest en Est, aller et retour