Réunissant près de 250 pièces, pour la plupart inédites, le musée de la Porte Dorée consacre la première monographie d’importance à l’art dépouillé et abstrait des Batéké. Les masques et statuettes sculptés par cette population, partagée de nos jours entre Gabon, République du Congo et Congo démocratique, ont pourtant été longtemps négligés, voire boudés par les scientifiques et les collectionneurs, qui leur reprochaient leur trop grande rusticité...
PARIS. “Ce sont des hommes très lestes, belliqueux, prompts à prendre les armes”, telle est la vision peu sympathique colportée dès le XVIe siècle par les premiers voyageurs européens abordant le royaume du Congo. Et pourtant, missionnaires et marchands, Portugais, Hollandais, et bientôt Belges et Français, ne cesseront de nouer des contacts avec ce peuple de trafiquants d’étoffes et d’esclaves. Le terme “téké” ne signifie-t-il pas lui-même “vendeur” en langue kikongo ?
Accueilli par l’une de ces immenses cartes du XVIIIe siècle aux vertus pédagogiques et au parfum de nostalgie coloniale (“Ils sont noirs, très sales et fort laids, de religion idolâtre”, précise un cartouche !), le visiteur découvre alors de délicats croquis au fusain d’un certain Edmond Laéthier, dessinateur talentueux qui devait mourir fort jeune des fièvres au Congo, en 1889. Présentés en guise d’introduction, quelques tessons de céramique remontant, pour certains, au XIIIe siècle, sont là pour nous rappeler qu’il existe bel et bien une archéologie du continent africain. Or ce sont ces mêmes motifs de croisillons, de triangles, de lunules et de spirales que l’on retrouvera gravés dans ces modestes insignes de prestige et de pouvoir que sont torques de laiton ou haches de parade. Présentés dans de longues et sobres vitrines, ces derniers séduisent précisément par leur dépouillement extrême, tout comme cette coiffure de plumes noires et ces pagnes de raphia d’une belle couleur miel. Nulle ostentation excessive, en effet, au royaume des Batéké : pauvreté, maigreur et obéissance sont de rigueur. Nul affairisme, nul désir de richesse non plus : lors de funérailles grandioses, tous les biens du défunt seront même réduits à néant ! Car pour ce peuple étrange, la vie dépend avant tout du bon vouloir des “invisibles” qui l’entourent : esprits des eaux, des arbres et des roches, réglant la fécondité de la nature comme celle des humains. Or, quoi de plus éminemment poétique que cette irruption permanente du sacré, ce dialogue intime avec les forces de l’au-delà ?
D’étroites planches de bois “Nkita”
Sublimées par un jeu de miroirs, des statuettes de fétiches taillées vigoureusement à grands coups d’herminette s’opposent ainsi à ces sommets d’abstraction que sont ces masques “Kidoumou” aux étranges prunelles ouvertes et fermées à la fois. Mais s’il est une révélation offerte par cette passionnante exposition, ce sont d’étroites planches de bois “Nkita” ornant les lits des femmes rituellement recluses. D’une palette et d’un sens graphique inouïs, elles constitueraient à elles seules le plus vibrant témoignage de la bidimensionnalité de l’art africain. Collectées dans les années cinquante par des familles de missionnaires suédois, ces œuvres particulièrement bien documentées ont permis, en outre, de faire des rapprochements scientifiques avec des objets de même type conservés dans les musées français... L’occasion, grâce à cette exposition, de marier enfin discours ethnologique et esthétique ?
Jusqu’au 4 janvier, Musée national des arts d’Afrique et d’Océanie, 293 avenue Daumesnil, 75012 Paris, tél. 01 43 46 51 61, tlj sauf mardi 10h-17h30, samedi et dimanche 10h-18h. Catalogue RMN, 340 F.
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Dialogue avec l’invisible
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°68 du 9 octobre 1998, avec le titre suivant : Dialogue avec l’invisible