Deroubaix incorpore Goya

Tout comme avec Dürer, Dix ou Picasso, ce dialogue avec Goya, témoigne du talent de Damien Deroubaix (né en 1972, lire aussi p. 89) à extraire de l’œuvre des maîtres le suc, le fond essentiel, tout en recréant formellement un langage bien à lui. Avec Goya, Damien Deroubaix partage avant tout la question de l’Histoire et du positionnement de l’artiste dans la société de l’époque. On retrouve au fil des œuvres un même goût pour le contraste du clair-obscur, une même nuit inquiétante d’où surgissent parfois des animaux goyesques, comme le bouc ou la chauve-souris. Mais cette présence de Goya se trouve mixée, réinventée dans un univers complexe fait de tensions et de collages où cohabitent nombreuses références visuelles et symboliques. La recréation de l’œuvre monumentale de Goya, La Junte des Philippines (vers 1815) en est un exemple révélateur. Avec son Ange exterminateur, Damien Deroubaix ne garde du maître espagnol que l’étonnante composition orchestrée autour d’un vide central. Changeant tous les personnages et opérant un renversement par rapport à Goya, Deroubaix invite dans son œuvre le peuple philippin et ses croyances, par diverses représentations de fétiches et de statues. Dans ce tableau coloré, mêlant brun et noir aux roses et violets, on retrouve l’ambivalence de l’univers de Deroubaix. Un univers qui va d’un réalisme noir, tiré de l’observation de la violence et du morcellement du monde, à une dimension plus onirique qui interroge l’invisible et les forces à l’œuvre dans les primitivismes ou l’art pariétal. Entre terre et ciel, bien et mal, cet univers capte les chimères de l’esprit du temps.