Une exposition au Städel Museum présente un choix judicieux de sculptures qualifiées d’impressionnistes.
Francfort. Peut-on parler de sculpture impressionniste ? Cela ne faisait aucun doute pour le critique d’art Edmond Claris qui fit paraître, en 1902, un ensemble de textes sous le titre De l’impressionnisme en sculpture. Il s’y appuyait sur les exemples d’Auguste Rodin (1840-1917) et de l’Italien Medardo Rosso (1858-1928) car, écrivait-il, « à ceux qui prétendaient que les sculpteurs devaient se borner à un art ornemental [...], ils ont affirmé qu’ils devaient, au contraire, s’attaquer à la réalité, à la science des valeurs, à la perspective. Et ils ont créé un admirable mouvement d’affranchissement dont il nous a paru intéressant de définir et de préciser le caractère. »
Alexander Eiling et Eva Mongi-Vollmer, conservateurs au Städel Museum, poursuivent la même ambition : définir la sculpture impressionniste. Ils insistent d’ailleurs sur le fait qu’il ne s’agit pas pour eux de cataloguer des sculpteurs comme impressionnistes, mais de montrer des sculptures impressionnistes – ce qui est important pour Rodin, par exemple, qui refusait toute allégeance à un mouvement. Outre celles de Rodin et Rosso, ils présentent des œuvres d’Edgar Degas (1834-1917), Paolo Troubetzkoy (1866-1936) et Rembrandt Bugatti (1884-1916, voir ill.) en les comparant à des travaux de leurs contemporains – Émile-Antoine Bourdelle, Claude Monet, Auguste Renoir, John Singer Sargent, par exemple. Plus de cent trente références jalonnent leur démonstration.
Pour définir leur sujet, les commissaires commencent par des contre-exemples en évoquant les premières expositions impressionnistes où étaient montrées des sculptures d’Auguste-Louis-Marie Ottin (1811-1890). La simple juxtaposition de Jeune Fille tenant un vase d’Ottin (vers 1861) et Le Déjeuner de Monet (1868-1869) fait sentir le fossé séparant ces artistes. Vient alors le premier impressionniste, Edgar Degas, qui représentait la vie moderne et l’éphémère en sculpture avec les mêmes procédés que les peintres (touche apparente, vibration de la lumière...). En cela, Petite Danseuse de quatorze ans (1878-1879) marque une révolution. Dans les œuvres de petite taille qui lui ont succédé, comme Le Tub (vers 1889) ou La Masseuse (années 1890), Degas a approfondi sa recherche dans le sujet comme dans la technique. Les commissaires ont pris soin de commenter, dans un texte de salle, les possibilités nouvelles offertes par le matériau utilisé pour ce travail, la cire.
Ces bases posées, le cheminement paraît évident. Les panthères et les lionnes modelées au zoo par Bugatti, dont le pelage est comme nimbé de lumière, font écho aux chevaux de Degas, tandis que l’Autruche à la tête baissée (1909-1910) prend une pose de danseuse. Les portraits flous de Rosso, L’Homme qui lit (vers 1894), silhouette saisie dans la rue, « en passant », sont évidemment impressionnistes, comme Mère et Enfant de Troubetzkoy (1898) ou Étude d’après nature (trois figures sur un banc) d’Ernesto Bazzaro (1900-1910). Une sélection d’œuvres de Rodin, dont Ève (1881), met en lumière son usage du non finito qui a tant dérouté ses contemporains – les mêmes qui avaient reproché aux peintres impressionnistes de se contenter de produire des esquisses.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°550 du 4 septembre 2020, avec le titre suivant : Définir la sculpture impressionniste