ART CONTEMPORAIN

De natura rerum Corsicae

Par Christophe Domino · Le Journal des Arts

Le 11 avril 2018 - 522 mots

Le Musée des beaux-arts de la Ville d’Ajaccio propose un parcours autour de l’idée de nature en insérant plus de 50 œuvres du Frac Corsica dans ses collections.

Ajaccio. Avec ses longs couloirs et ses enfilades de salles, dont certaines sont ouvertes sur la mer, le palais Fesch impose au visiteur son rythme, son souffle, parmi les primitifs et autres maîtres italiens du XVIe siècle, parmi les figures saintes et les portraits, les allégories néoclassiques, les paysages et natures mortes. L’exposition « Naturel pas naturel » propose un cheminement parallèle, tissé dans l’accrochage permanent constitué de cinquante et une pièces de la collection du Frac (Fonds régional d’art contemporain) de Corse, de quarante-six œuvres de la collection permanente du Musée des beaux-arts de la Ville et d’une dizaine d’emprunts, tant classiques que contemporains. Œuvres auxquelles s’ajoutent quatre Picasso venus de Paris, une première en Corse, initiative soutenue par le programme de diffusion du Musée national Picasso-Paris.

Le projet est issu de la collaboration, pour son commissariat, de deux conservateurs : Philippe Costamagna, l’hôte, et Anne Alessandri, directrice du Frac. Le thème-titre, attendu mais antagonique, se décline en dix-huit sections, comme autant de sous-thèmes. Le scénario thématique est porté par l’architecture, au travers d’une vingtaine de salles. En évitant les associations superficielles et les analogies faciles, il conduit, poussé par la force symbolique des œuvres léguées par l’Histoire, à rentrer dans chaque œuvre, au besoin à l’aide des cartels développés. Ainsi les paysages mythologiques de Domenico Brandi (Noé… et Orphée…, début XVIIIe siècle) rencontrent-ils le tableau-piège de Daniel Spoerri (Le Bon Pasteur II, 1992) dans la salle « L’harmonie », animée par une présence animale et qui s’ouvre sur Faune, cheval et oiseau de Picasso (5 août 1936, gouache).

Maîtres anciens et artistes contemporains

Dans la salle suivante, c’est « Le conflit » qui lie les œuvres : l’asphyxie des poissons et tortue gisant dans la nature morte d’Alessandro de’ Pesci (1695-) côtoie les ciels bleus aux allures de tranquille nuancier découpés par Ignasi Aballí dans des photographies de guerre en Libye (Cels (Libia), 2012). Les croisements d’univers qui se jouent dans les salles « La conscience » ou « Les signes » sont résolument méditatifs, forts de l’héritage de la vanité. Du « Tapis nature » de Piero Gilardi, fait de latex et de mousse polyuréthane (2010), à la ligne au sol longue de 19 mètres de Richard Long formée de fragments de racine de bruyère (The Pipe-Maker’s Woodline, 1997-2007), la nature est affaire de représentation réflexive, comme chez les maîtres anciens. Titien, Poussin ou Véronèse, parmi les pièces majeures du musée, cohabitent avec Thomas Hirschhorn, Eija-Liisa Ahtila, mais aussi nombre d’artistes d’une jeune génération, espagnole (José Ramón Ais, Patricia Esquivias, Sara Ramo), italienne (Serena Zanardi), ou encore turque, Sener Özmen et Cengiz Tekin, avec des œuvres issues de la collection du Frac. Vidéo (Marco Avila Forero, Grazia Toderi, Stephen Dean), peinture (Nina Childress, William Levitt et un dispositif peinture-son), photographie (Charlotte Moth, Rodney Graham) et installation ouvrent autant de pistes et de perceptions d’une naturalité en effet bien cultivée, sans démonstration mais avec inspiration, pour spectateur engagé.

Naturel pas naturel,
jusqu’au 30 avril, palais Fesch, Musée des beaux-arts, 50, rue Fesch, Ajaccio, musee-fesch.com

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°499 du 13 avril 2018, avec le titre suivant : De natura rerum Corsicae

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