Pour la deuxième édition du festival « Normandie impressionniste », le Musée des beaux-arts de Rouen fait scintiller les reflets sur l’eau dans les toiles de Monet et de ses amis.
En 2010, la première édition du festival « Normandie impressionniste » en avait surpris plus d’un, tant par le peu de temps alloué aux organisateurs pour monter leurs projets que par le succès obtenu au terme d’une course échevelée (lire le JdA no 322, 2 avril 2010). Près de 240 000 visiteurs s’étaient pressés pour découvrir « Une ville pour l’impressionnisme : Monet, Pissarro et Gauguin à Rouen » au Musée des beaux-arts de Rouen. Organisée par Laurent Salomé, alors directeur des lieux, l’exposition phare de la manifestation normande a dépassé, aussi sur le plan financier, les espérances – 4 millions d’euros de recettes, soit 25 % plus que prévus, réinvestis, entre autres, dans des acquisitions pour le musée.
La prouesse était encore dans les esprits au moment de réfléchir à la seconde édition du festival, cette fois placée sous le signe de l’eau. Rouen se doit d’offrir le clou du spectacle, et la responsabilité en revient désormais à Sylvain Amic, nommé à la direction des musées rouennais en juin 2011. Et ce avec un budget en baisse de 12 %, soit 2,7 millions d’euros. Le défi est de taille. Sylvain Amic a décidé de le relever en opérant une sélection d’œuvres pointue.
La qualité des prêts, dont la majeure partie provient de collections publiques françaises et étrangères, est sans nul doute la caractéristique la plus réjouissante d’« Éblouissants reflets ». Donner un sens à cette accumulation de chefs-d’œuvre constitue un exercice déjà plus périlleux. Ici, le thème fédérateur du festival se décline autour du reflet à la surface de l’eau. Le penchant des impressionnistes pour la côte normande et les bourgs installés le long des boucles de la Seine est connu. Sensibles à la beauté changeante de la nature, ces peintres étaient aussi de fins observateurs de la vie moderne, de ses progrès techniques comme de ses nouveaux loisirs. Le parcours de l’exposition traverse la période en égrenant les motifs (ponts, canotage, ateliers sur l’eau…) et prend Claude Monet, représenté par une quarantaine de tableaux, comme figure tutélaire. Et tant pis si Impression soleil levant (1874), point de départ iconique de la démonstration de Sylvain Amic, ne figure pas à l’appel. Les reflets orangés du soleil levant sur le fond bleu du port du Havre sont suffisamment célèbres pour que soit fait appel à la mémoire des visiteurs. En quelques larges traits horizontaux, ils symbolisent la place originale que le scintillement s’octroie dans la technique impressionniste.
Brillance hors du commun
Hérauts du renouveau de la marine, tradition bien timide dans la peinture française, Johan Barthold Jongkind et Eugène Boudin ouvrent la marche – Courbet est absent, mais dûment abordé dans le catalogue. Le Port d’Anvers (1855) pour le premier, celui de Camaret (1872) pour le second rappellent avec justesse que la peinture de ce cher Claude Monet ne s’est pas faite en un jour. Dans cette même salle sont justement déclinées les différentes manières dont ce dernier s’attaquait à la mer, cette masse hypnotique et insondable, usant d’une touche tantôt légère, tantôt serrée, voire étalée avec générosité.
Dans Maisons au bord de la Zaan, à Zaandam (1871) apparaît déjà la technique de la « grille », ce mélange de deux plans que Monet perfectionnera à Giverny : au premier plan, le reflet rose et vert des maisons est rendu par de longues traînées verticales ; par-dessus, le peintre représente l’eau du fleuve en appliquant des touches bleues à l’horizontale. Par le truchement de cette superposition, l’eau s’anime d’une brillance hors du commun.
L’absence des toiles réalisées deux ans plus tôt par Renoir et Monet aux bains de la Grenouillère à Croissy-sur-Seine, dans lesquelles les artistes révolutionnent la manière dont le soleil filtré par les arbres tombe sur l’eau, est compensée par une sélection soucieuse de diversité. Gustave Caillebotte sait évoquer la transparence (Canotier ramenant sa périssoire, 1878) comme l’opacité de l’eau (Voilier sur la Seine, Argenteuil, 1893), tandis que Jean-Louis Forain fait léviter son Pêcheur (1884) sur un miroir d’eau qui, par un effet de perspective, ne reflète pas son personnage !
Après un passage quelque peu forcé par l’école rouennaise, la section dévolue au néo-impressionnisme donne une vision plus compacte et plus maîtrisée de l’eau. Enfin, si la réunion de plusieurs vues de Vétheuil par Monet force l’admiration, les deux petites huiles par Léon Peltier immortalisant l’atelier flottant de Monet à Vétheuil, ainsi que la série de gravures Voyage en bateau dans laquelle Charles Daubigny se met en scène dans son bateau-atelier, sont proprement irrésistibles.
Accompagnant l’exposition d’un catalogue auquel une armée de conservateurs et d’universitaires a contribué, Sylvain Amic a eu la bonne idée de mêler aux tableaux des photographies contemporaines. La théorie selon laquelle l’impressionnisme est né de l’invention de la photographie, et de la menace que celle-ci représentait pour la peinture purement descriptive, a encore ses adeptes. Bien grand leur fasse ! La sélection opérée avec beaucoup de justesse par Virginie Chardin démontre, s’il le fallait encore, que ce médium révolutionnaire a inspiré lui aussi des recherches esthétiques – des marines de Gustave Le Gray aux paysages pictorialistes de Robert Demachy, en passant par les compositions élaborées d’Eugène Atget. Avec, touche finale, l’émouvant « portrait » de Claude Monet, ombre saisie sur la surface du bassin de ses si fidèles nymphéas.
Commissaires : Sylvain Amic, conservateur en chef du patrimoine, directeur des musées de Rouen ; Virginie Chardin, commissaire pour la partie photographique
Nombre d’œuvres : 164 (tableaux, photographies et estampes)
jusqu’au 30 septembre, Musée des beaux-arts, esplanade Marcel-Duchamp, 76 000 Rouen, tél. 02 35 71 28 40, www.mbarouen.fr, www.eblouissantsreflets.fr, tlj sauf mardi 9h-19h, 11h-22h les mercredis de mai, juin et septembre, 9h-22h les mercredis de juillet et août. Catalogue, coéd. Musée de Rouen/RMN-Grand Palais, 308 p., 39 €.
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De l’art d’être ébloui
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Abonnez-vous dès 1 €Gustave Caillebotte, Canotier ramenant sa périssoire, 1878, huile sur toile, 73 x 93 cm, Virginia Museum of Fine Arts, Richmond. © Photo : Katherine Wetzel/Virginia Museum of Fine Arts.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°395 du 5 juillet 2013, avec le titre suivant : De l’art d’être ébloui