Alors que des voix s’élèvent pour rejeter en bloc la création contemporaine en France et la politique de l’État dans ce domaine, trois artistes démontrent à leur manière la diversité de l’art actuel. Daniel Schlier s’adonne en effet à la peinture sans négliger la tradition, tandis que Pierre Joseph s’intéresse plus volontiers aux images virtuelles. Quant à Matthieu Laurette, son travail s’inscrit dans la réalité du monde contemporain, en utilisant activement les médias et les rouages de la société de consommation.
CALAIS et MONTPELLIER - La grande salle blanche du Channel et son éclairage zénithal mettent particulièrement bien en valeur la quinzaine de pièces de Daniel Schlier qui ouvrent autant de fenêtres sur un monde fantastique et énigmatique. Souffleur IV (1995) est à l’image de cette géographie revisitée, d’une dérive des continents qui crée de nouveaux dialogues, des rapprochements inattendus, entre mers de couleur et oiseaux migrateurs figés ou fossilisés. L’art de Schlier se nourrit de son Alsace natale, tant au niveau de la technique, en reprenant la tradition populaire du fixé sous verre, que du sens, en réinterprétant une thématique liée à la mort qui puise ses racines dans le Haut-Rhin des XVe et XVIe siècles. L’artiste entend ainsi "retrouver le geste d’antan et lui redonner une actualité". Ses figures, à la fois terriblement déformées et expressives, se détachent sur des fonds monochrome, à la manière d’un Konrad Witz, tandis que la mort est omniprésente, sur le mode des memento mori. Schlier, qui déclare ne pas développer "une réflexion mais une pensée, quelque chose de plus elliptique", travaille depuis quelque temps d’après nature, dans une nouvelle approche plus "photographique". Sa série des Sept péchés capitaux (1996), dans des formats triangulaires qui resserrent la composition, met en évidence les différentes énonciations du "mal absolu" entre le français et l’allemand, à l’image de la gourmandise qui devient outre-Rhin Gefrässigkeit, de la gloutonnerie.
Dans un tout autre registre, Pierre Joseph a abandonné à Montpellier ses personnages à réactiver. Il introduit ici le visiteur dans un monde virtuel, grâce à une incrustation chroma-key. Le jeu entre le réel et l’imaginaire est encore présent dans cette pièce qui simule, avec des images de synthèse, le flux et le reflux des marées sur les côtes d’une île anglo-normande. Pourtant, on a du mal à suivre l’artiste quand il fait inscrire en arabe un texte sur la notion d’image, où seuls quelques noms d’artistes restent écrits en alphabet romain. Plus en prise avec la réalité, Matthieu Laurette montre une nouvelle apparition, une annonce diffusée sur le câble dont le texte est tiré du début du film de Jean-Luc Godard JLG/JLG. Après "vu à la télé", il présente à Montpellier "vu à l’atelier", puisqu’une caméra retransmet des images de son studio à Paris. Chaque visiteur peut ainsi suivre en direct son activité de créateur. Laurette reprend également son rôle d’éclaireur quand il propose une consommation active, utilisant en particulier les offres promotionnelles figurant sur les produits alimentaires.
DANIEL SCHLIER, LES JOURS MAIGRES, LES JOURS GRAS, jusqu’au 25 mai, Le Channel, 13 bd Gambetta, 62000 Calais, tél. 03 21 46 77 10, tlj sauf lundi 14h-18h. Puis, novembre-décembre, Centre d’art contemporain de la Ferme du Buisson, Noisiel.
MATTHIEU LAURETTE, PIERRE JOSEPH, jusqu’au 19 avril, Galerie d’Eole, 18 rue Jules Ferry, 34000 Montpellier, tél. 04 67 22 94 04, tlj sauf dimanche 10h-12h et 14h30-18h.
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De la peinture au supermarché
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°36 du 18 avril 1997, avec le titre suivant : De la peinture au supermarché