Architecture

De la maison ouvrière à la maison d’architecte

Par Sophie Flouquet · L'ŒIL

Le 1 octobre 2004 - 659 mots

Réconcilier le HLM et l’architecture. Une ambition généreuse, dont on pourra bientôt mesurer les résultats à Mulhouse, lorsque les locataires auront investi les soixante nouveaux logements inaugurés en septembre dernier et construits par Jean Nouvel, Shigeru Ban, Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal, Duncan Lewis et Matthieu Poitevin. Cinq équipes, associées dans une même aventure sous la houlette de l’aîné respecté (Jean Nouvel), pour proposer à leurs risques et périls de nouveaux modes d’habiter le logement social.
Lancée en 2001, la paternité de cette ambitieuse opération revient à un maître d’ouvrage local, la Société mulhousienne des cités ouvrières (Somco). Créée en 1853 pour la construction de la première cité ouvrière de France, conçue par l’ingénieur Émile Muller, celle-ci y a bâti plus de mille deux cent quarante logements jusqu’à la fin du XIXe siècle, formant une gigantesque cité-jardin, aujourd’hui intégrée à la ville. Pour fêter dignement ses cent cinquante années d’existence, son directeur Pierre Zemp a souhaité initier la construction d’un nouvel ensemble, une « Cité manifeste » constituée de maisons unifamiliales, dans la tradition locale. Mais plutôt que de bâtir un ensemble ordinaire, il a saisi l’occasion pour apporter sa pierre à l’édifice du logement social, en démontrant que celui-ci pouvait rimer avec qualité architecturale. Proposer, en somme, une alternative à la médiocrité et à la standardisation du HLM, trop souvent soumis à des impératifs purement économiques. Poussant son audace, Pierre Zemp choisit alors de convoquer Jean Nouvel – rien de moins – pour construire cet ensemble à l’emplacement d’une ancienne friche industrielle, en bordure de l’ancienne cité. Son objectif est alors d’entourer l’architecte d’autres professionnels de renom. Mais Nouvel, avec intelligence, le convainc de pousser plus loin le défi et de s’entourer de jeunes équipes. Le workshop commence alors à s’organiser. En juin 2001, les architectes se partagent l’îlot Schoettlé, un terrain en forme de trapèze, qu’ils découpent en parcelles et organisent suivant un réseau de venelles. Jean Nouvel opte pour la portion la plus complexe, le triangle qui clôt la cité. Sur son terrain d’expérimentation, il construit des maisons en bande, alignées sous une même toiture, l’irrégularité du terrain étant compensée par les jardins. En face, Shigeru Ban, récent lauréat du Centre Pompidou Metz (cf. L’Œil n° 561), réalise une série de maisons organisées selon le principe du « carré mulhousien », constitué de quatre unités réunies sous un même toit, selon un plan cruciforme. Mais ici, contrairement à la maison traditionnelle, la toiture à deux pentes est renversée en V et les matériaux industriels s’affichent sur la façade. En vis-à-vis, Lacaton et Vassal remploient un matériau qu’ils ont déjà expérimenté dans le logement individuel : la serre horticole. Sur un socle de béton, ils créent un second niveau abrité sous cette structure légère et translucide, offrant de vastes jardins d’hiver aux habitants. Leurs appartements, conçus comme de grands lofts, sont modulables à souhait par les occupants. Cette idée d’espace évolutif, laissée au bricolage des habitants, est également mise en œuvre dans les maisons colorées, bardées de métal, construites par le Marseillais Matthieu Poitevin, le benjamin de l’équipe. Leurs garages démesurés, orientés au nord, pourront ainsi être transformés en pièces d’habitation. Duncan Lewis livre dans la cité l’ensemble qui, à terme, s’avérera le plus bucolique, avec ces porte-à-faux cubiques végétalisés qui ferment des maisons ouvertes sur de vastes halls centraux. Au final, c’est donc un ensemble où règne la diversité et où l’économie de moyens n’est pas synonyme de médiocrité. Un parti à l’antithèse de la standardisation des grands ensembles. Reste à savoir comment ces vastes espaces, très différents des distributions traditionnelles, seront accueillis par les occupants, dont l’installation est prévue en janvier. « Il faudra essayer d’adapter les locataires aux logements », prévient Pierre Zemp, conscient des difficultés et soucieux d’éviter que son projet ne soit dévoyé. Un comité de sélection, assisté d’un psychologue, a d’ores et déjà été mis en place pour sélectionner les très nombreux candidats à l’expérience.

MULHOUSE (68), Cité manifeste, rue Lavoisier.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°562 du 1 octobre 2004, avec le titre suivant : De la maison ouvrière à la maison d’architecte

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