Mi-novembre, s’est ouverte au Petit Palais une exposition spectaculaire consacrée au Paris de la Belle Époque. Nous avions assisté à son installation.
« Nous avons de la chance, il fait beau aujourd’hui », observe avec un franc sourire Juliette Singer en ce lundi 16 octobre. La considération météorologique de la conservatrice ne relève pas de l’échange de banalités, courant lors d’une première rencontre, mais bien d’un réel soulagement. Le beau temps était en effet la condition sine qua non pour mener à bien l’opération la plus périlleuse du montage de son exposition. De fait, l’objet phare du « Paris de la modernité » ne pouvait être protégé par une caisse de transport, pour la bonne raison qu’il est totalement hors gabarit. Régisseurs, installateurs, mais aussi employés d’une entreprise de transport spécialisée dans le convoiement ont en effet dû manipuler une pièce fort atypique dans un musée des beaux-arts : un avion ! Inutile de préciser qu’il s’agit d’une première. Et pas n’importe quel avion, mais un aéroplane centenaire gracieusement prêté par le Musée de l’air et de l’espace. Ce magnifique objet remplissait tous les critères pour figurer dans ce projet : sa beauté plastique caractéristique de la fascination de l’esthétique industrielle sur les artistes d’avant-garde, des heures de vol effectives – les commissaires ne voulaient pas un prototype –, mais aussi son excellent état de conservation qui autorisait son déplacement. Surtout, ce modèle possédait un atout qui a fait toute la différence : ses mensurations qui lui permettaient de se faufiler dans le musée parisien ! Enfin, tout juste, car il a fallu démonter ses ailes puis hisser avec prudence le corps à l’aide d’une grue dans la galerie du Petit Palais. Malgré la maîtrise et le grand professionnalisme de cette ruche, l’excitation était palpable. Les équipes des deux musées, et quelques badauds, ont ainsi retenu leur souffle quand l’aéroplane s’est envolé puis engouffré dans l’immense baie vitrée qui clôture la galerie. Une ouverture aménagée il y a quelques années, justement pour faire entrer de très grands formats dans le musée, car le portail principal du palais ne le permet plus depuis qu’un sas de sécurité y a été installé.
En ce premier jour de montage, de nombreuses œuvres ont d’ailleurs déjà été grutées par cette ouverture, à commencer par les immenses caisses protégeant des monuments de la peinture moderne comme La Danse du Pan-Pan au Monico de Gino Severini, affichant près de trois mètres sur quatre hors cadre ! À exposition exceptionnelle, dispositif exceptionnel donc. Outre les grandes peintures et les sculptures arrivées par les airs, la régie a aussi pu s’appuyer sur un « gadget » digne de James Bond, un monte-charge escamotable. S’ils regardent attentivement le sol de la première salle, les visiteurs de l’exposition pourront discerner une délimitation dans le tracé du parquet. Le secret, c’est que ce dernier se soulève, faisant apparaître un ascenseur particulièrement pratique qui communique avec des parties du musée fermées au public, permettant donc de monter l’exposition en coulisse sans que les visiteurs ne se doutent de quoi que ce soit. Ce précieux allié a lui aussi connu une grande première, car il a acheminé une voiture dans les salles d’exposition. « Évidemment, nous avons pris les cotes, précise, amusé, le régisseur de la maison, car ce n’est pas tous les jours que nous faisons rentrer une Peugeot historique dans le monte-charge. »
Outre un avion, une voiture et un moteur, est également exposé un cycle pour évoquer la fascination des artistes pour toutes ces nouvelles technologies.Il s’agit ici de la la bicyclette Gérard, baptisée ainsi en hommage au capitaine qui a popularisé ce vélo pliable durant la Grande Guerre. L’exemplaire exposé appartient à un particulier qui est à ce jour le meilleur connaisseur de cet objet. C’est donc logiquement lui qui a assuré le rôle de convoyeur et de régisseur pour ce deux-roues. Un cas rare dans la logistique d’une grande exposition.
L’exposition présente des œuvres et des objets très variés, qui restituent l’ambiance effervescente de cette époque, par exemple Et le soleil s’endormit sur l’Adriatique, un paysage abstrait peint par l’âne Lolo, un canular orchestré par Roland Dorgelès pour ridiculiser les artistes et les critiques. Cette toile mythique est jalousement conservée par l’Espace culturel Paul Bédu, à Milly-la-Forêt (91), qui ne s’en sépare pratiquement jamais. Pour l’obtenir, le Petit Palais a dû parlementer et proposer un contre-prêt.
En quelques années, la scénographie malicieuse et immersive s’est imposée comme la marque de fabrique des expositions du Petit Palais. Celle-ci ne déroge pas à la règle. Elle nous plonge notamment dans l’intimité de Picasso, ne déroge pas à la règle et nous plonge notamment dans l’intimité de Picasso, grâce à une évocation du papier peint de sa demeure parisienne. Y figure notamment le portrait d’Olga, un tableau qu’il a gardé toute sa vie. Quelques pièces de sa collection sont présentés dans un décor calqué sur le très chic appartement qu’il occupa rue de La Boétie.
Une fresque retraçant deux décennies
Brosser un portrait inédit de la modernité, voici comment on pourrait résumer cette fresque qui enjambe les différents mouvements d’avant-garde, les fameux « ismes » sur lesquels s’est écrite l’histoire de l’art, pour retisser un récit plus large de la modernité de la Belle Époque aux Années folles. Un pari ambitieux, étayé par 380 œuvres d’art et objets inattendus, nous plongeant dans l’esthétique et l’atmosphère électrique de la Ville Lumière au début du siècle. Une sélection de pièces brouillant les genres et les échelles, allant du bijou Cartier à l’aéroplane, des grands tableaux chamarrés aux arts premiers, en passant par la mode, la danse et le théâtre. Objectif revendiqué de cette exposition fleuve et transversale : recréer le bouillonnement culturel de ces deux décennies décisives, en montrant des icônes de Picasso, de Léger, de Lempicka ou de Jeanne Lanvin, avec leurs sources d’inspiration et des créateurs de leur entourage aujourd’hui moins connus comme Marie Vassilieff et Jacqueline Marval.
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Dans les coulisses du Paris de la modernité
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°770 du 1 décembre 2023, avec le titre suivant : Dans les coulisses du Paris de la modernité