C’est à une véritable promenade que nous convient Jean-Louis Cohen et Monique Eleb à l’Espace Electra, tout au long de leur exposition « Casablanca, naissance d’une ville moderne sur le sol africain ». Une promenade architecturale et urbanistique, certes, mais ponctuée avec humour et esprit d’anecdotes, d’écarts et de digressions qui en font tout le prix et tout le charme.
PARIS - D’emblée, les deux commissaires annoncent la couleur : “Ville mythique, mise en scène par Hollywood, aujourd’hui capitale économique du Maroc, Casablanca fait figure de champ d’expérimentation dans le domaine de l’urbanisme et celui de l’habitat. En six décennies, de 1900 à 1960, le noyau historique ancien, initialement dénommé Anfa, qui existait depuis des siècles avec ses quartiers musulman, juif et européen, est métamorphosé en une métropole tumultueuse, façonnée par toutes les cultures méditerranéennes.”
L’exposition sera donc encyclopédique, organisée en dix étapes mettant en scène plus de deux cent cinquante documents originaux provenant de collections publiques et privées, françaises et marocaines : cartes historiques, plans d’urbanisme, dessins d’architecture, photographies historiques et contemporaines, livres, affiches, revues... En contrepoint à ce matériel savant, exposé de façon thématique et chronologique, des croquis, des lavis, des aquarelles, d’autres photos encore, des affiches de film, des romans de gare aux jaquettes délicieusement surannées, des maquettes immaculées... entraînent le visiteur dans une autre dimension. Il ne s’agit plus d’architecture et d’urbanisme, mais d’un portrait, celui d’une ville considérée comme un corps vivant, comme un lieu d’expérimentations, comme un carrefour de vie et de mutations.
Le visiteur hésite non pas à prendre telle ou telle travée, telle ou telle section, mais à emprunter le boulevard Mohamed V ou celui de Paris afin de mieux frôler cette floraison d’immeubles Art déco au style incertain mais affirmé qui les borde ; à flâner au long des rues d’Alger ou Hassan Seghir et s’abîmer dans la contemplation de ces hôtels particuliers, Art déco eux aussi, ou de ces villas californiennes cubiques et immaculées, ponctuées de décors Art nouveau aux résonances islamiques… Synthèse “édifiée” de deux cultures, le visage de Casablanca se dévoile, fait d’une myriade d’expressions qui, réunies, composent une identité spécifique qui se perpétue, de 1900 jusqu’à nos jours, sous des formes d’une grande diversité mais, une fois encore, dans une étonnante unité.
Une douzaine de maquettes exemplaires
Rencontres et découvertes alternent. Découvertes d’œuvres d’architectes trop méconnus, comme Marius Boyer, Adrien Laforgue, Gaston Jaubert, Jean Balois, Marcel Desmet, Albert Greslin... retrouvailles avec ceux plus connus, tels Albert Laprade, Jean-François Zévaco, Henri Prost, Georges Candilis ou encore Élie Azagury... Et puis, surtout, cette guirlande de bâtiments étonnants : la Poste centrale de Laforgue (1920), l’immeuble Maret de Delaporte (1932), l’immeuble Lévy-Bendayan de Boyer (1928), l’hôtel particulier de Boyer pour lui-même (1930), l’immeuble de bureaux de “La Vigie” de Rachid Andaloussi (1996), la villa Sami Suissa de Zévaco (1947), la villa Schulmann d’Azagury (1952)...
Clou de l’exposition, une douzaine de maquettes réalisées spécialement pour l’occasion par les étudiants de cinq écoles d’architecture – exemplaire attitude pédagogique – restituent l’invention constructive et plastique, et rendent un vibrant hommage à des architectes aventureux et généreux. Des maquettes qui, au-delà du simple exercice de style et de l’évident témoignage, habitent et habillent l’Espace de la Fondation Électricité de France avec beauté, certes, mais également avec âme et passion.
Parcours, promenade, invitation au voyage, cette présentation déborde largement le cadre habituel des expositions d’architecture, trop souvent statiques, trop souvent destinées aux seuls “professionnels de la profession”, trop souvent limitées à leur seul propos.
Jusqu’au 18 juillet, Espace Electra-Fondation Électricité de France, 6 rue Récamier, 75007 Paris, tél. 01 53 63 23 45, tlj sauf lundi et jf 12h-19h.
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Dans la ville blanche
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°86 du 2 juillet 1999, avec le titre suivant : Dans la ville blanche