Au Palazzo Grassi, le nouvel accrochage des œuvres appartenant au milliardaire présente quelques morceaux de bravoure, mais laisse apparaître une assez triste faiblesse du discours curatorial.
VENISE - L’une des plus fortes images qui reste du nouvel accrochage de la collection de François Pinault au Palazzo Grassi, à Venise, dans le cadre de l’exposition « Séquence 1 », est pour le moins inattendue : les traces, les fantômes de l’installation antérieure dont les œuvres sont aujourd’hui remisées dans les réserves. Urs Fischer – dont le monumental arbre de Noël composé de deux cents dessins encadrés fait forte impression dans l’entrée (Jet Set Lady, 2000-2005) – et Franz West ont collaboré à l’élaboration d’un papier peint figurant en grisaille les travaux et cartels précédemment accrochés dans les lieux, à leur exact emplacement (Verbal Ascetism, 2007). L’œuvre marque d’autant plus qu’elle apparaît contradictoire, entre ironie facétieuse et hommage aux grands maîtres (Rothko, Serra…), se jouant du temps et de la qualité même des images… pour s’inscrire durablement dans l’esprit.
À l’exception des photographies de Louise Lawler réalisées sur place pendant le montage de l’accrochage inaugural en 2006, et distillées dans les espaces, cette exposition regroupe des peintures et sculptures pour la plupart présentées par ensembles monographiques. Les pièces remarquables abondent, telles quatre immenses « Joke Paintings » de Richard Prince, de 1991, superposant textes, dessins et images sérigraphiées, ou l’installation de Mike Kelley, Extracurricular Activity Projective Reconstruction #1 (Domestic Scene) (2000), qui présente en face du décor de tournage, peu reluisant, une étrange vidéo en noir et blanc, sorte de sordide jeu d’attraction, de répulsion et de domination entre deux personnages masculins. Robert Gober inquiète lui aussi avec sa porte, sous laquelle filtre un rai de lumière, encadrée de ballots de journaux dont il a recomposé la une avec des informations qui lui sont chères (Door with Lightbulb, 1992). En outre, la part belle est faite à Martial Raysse avec une époustouflante suite de onze œuvres des années 1960, parmi lesquelles de beaux portraits féminins, mais aussi un caisson lumineux en forme d’oiseau (4 pas dans les nuages, 1966) ou une Conversation printanière (1964) fort allégorique, à la surface de laquelle sont adjoints feuillages en plastique et cornes de cervidé roses.
Du côté de la plus jeune création, c’est l’inégalité qui prévaut. Le milanais Roberto Cuoghi interpelle avec sa série The Axis of Evil (2006-07), cartographies des neufs pays composant le nouvel « axe du mal » américain, avec des successions de couches diverses (crayon, peinture aérosol, fusain, vernis…) qui donnent un aspect à la fois brut et précieux à ses compositions. Ce n’est au contraire pas la finesse qui caractérise l’installation picturale de la New-Yorkaise Kristin Baker, Flying Curve, Differential Manifold (2007), montée sur une structure métallique façon usine à gaz, censée évoquer le dynamisme des courses automobiles !
Recyclage de l’art moderne
Lourdeur et indigence marquent également la longue série de travaux d’Anselm Reyle, engagé dans un processus sans fin de recyclage de l’art moderne et contemporain. S’il est d’un bel éclectisme – vaste amas désordonné de néons suspendus (Untitled, 2006), grands monochromes noirs à la pâte outrancière dont l’épaisseur du cadre en acier renforce l’aspect indigeste (Black Earth, 2007), sculpture en bronze violette paraissant comme un curieux croisement de Koons et Brancusi (Harmony, 2006), mur monochrome jaune fluo (New Yellow, 2007)… –, le tout sonne creux et vide de sens, ouvrant un abîme discursif qui entretient l’illusion par son aspect clinquant. Cette surface « poudre aux yeux » séduit tant de collectionneurs que l’artiste est devenu l’un des phénomènes du marché de l’art, avec son lot de préventes et de listes d’attentes. Il est surprenant de constater qu’un œil aussi averti que celui de François Pinault ait cédé de la sorte à une telle facilité.
Globalement respecté, le parti pris d’ensembles monographiques surprend. L’exposition ne se veut ni narrative ni thématique, mais « souligne le fait que les artistes contemporains n’ont jamais abandonné les disciplines dites traditionnelles mais les ont constamment renouvelées. » S’il est recevable, l’argument du « cousu main », sans plus de précisions, apparaît néanmoins un peu court aujourd’hui pour justifier la qualité et la conception d’un assemblage de peintures et de sculptures. Il fait plutôt montre d’une assez triste faiblesse du discours curatorial. Surtout lorsque l’on a à sa disposition une telle collection !
Jusqu’au 11 novembre, Palazzo Grassi, Campo San Samuele, 3231, Venise, tél. 39 041 523 16 80, www.palazzograssi.it, tlj jusqu’au 1er juillet, sauf mardi à partir du 2 juillet, 10h-19h. Catalogue à paraître.
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Collection Pinault, Acte II
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Abonnez-vous dès 1 €- Commissaire : Alison M. Gingeras, commissaire de la collection François Pinault - Nombre d’artistes : 15 - Nombre d’œuvres : 110
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°260 du 25 mai 2007, avec le titre suivant : Collection Pinault, Acte II