Avant d’être inquiété durant la Révolution française, Claude Nicolas Ledoux s’est partagé entre Paris et la province et s’est bâti une carrière d’aristocrate qui n’a pas manqué... de sel.
Curieux paradoxe pour celui que l’on qualifie, souvent abusivement, d’architecte révolutionnaire : c’est la Révolution française qui a mis un coup d’arrêt à sa brillante carrière. En novembre 1793, Claude Nicolas Ledoux (1736-1806) est arrêté puis incarcéré pour « aristocratie » à la prison de la Force. Il n’en ressortira qu’en 1795, humilié mais la vie sauve car échappant de peu à l’échafaud, contrairement à d’autres de ses homologues architectes.
La révolution… des formes
Ledoux n’avait pourtant jamais porté un quelconque titre de noblesse. Il s’était contenté d’espérer obtenir le « Cordon noir » de l’ordre de Saint-Michel, promesse pour un artiste travaillant au
service du roi d’être un jour anobli.
Politiquement, Ledoux n’était toutefois pas un révolutionnaire. Il était connu pour avoir fréquenté le Club de Valois, avec les Sieyès, Condorcet ou Mirabeau, où l’on débattait des bienfaits d’une monarchie constitutionnelle à l’anglaise.
Par ailleurs, ses clients se comptaient dans les rangs des grands financiers et de la noblesse de robe. Quant à sa réputation d’architecte dispendieux, certains clients l’auraient même traité de « filou », elle ne plaidait pas en sa faveur. Mais à 59 ans, sa carrière était déjà derrière lui et cet opprobre lui permit alors de se consacrer à son grand œuvre : la publication d’un recueil monumental, L’Architecture considérée sous le rapport de l’art, des mœurs et de la législation (1804).
Architecte du roi
Rien ne prédestinait pourtant le jeune Claude Nicolas aux gloires parisiennes. Né à Dormans en 1736, près d’Épernay, dans une famille de marchands champenois modestes, il bénéficie rapidement de protections qui lui permettent de venir étudier à Paris, au collège de Beauvais.
Doué pour le dessin, Claude Nicolas Ledoux s’oriente vers l’architecture et intègre les cours de Jacques François Blondel. Ce dernier est alors la figure incontournable de l’architecture, celui chez qui la plupart des grands architectes français ou européens de la fin du XVIIIe siècle auront été formés. Sérieux et courageux, il obtient un poste de dessinateur au sein de l’agence parisienne de Pierre Contant d’Ivry, l’un des précurseurs du néoclassicisme. Son ascension sera rapide. En 1762, sa première réalisation, le décor du Café militaire à Paris (aujourd’hui au musée Carnavalet), est d’emblée saluée par la presse. Pour la première fois, en effet, des lambris dorés sont utilisés pour le décor d’un lieu public.
Grâce à son mariage avec Marie Bureau, deux ans plus tard, Ledoux commence une carrière officielle avec un titre d’ingénieur des Eaux et Forêts de la région de Sens. Mais il se fait aussi remarquer par une clientèle aisée, prise d’une véritable frénésie de construction de luxueux hôtels particuliers, dont les nombreuses commandes lui permettent de monter sa propre agence. Protégé de Madame du Barry, la favorite de Louis XV pour qui il construit le pavillon de Louveciennes, il est nommé en 1771 commissaire aux salines de Lorraine et de Franche-Comté. Désormais, il peut donc arborer le titre convoité d’« architecte du roi ». Cette charge lui permet de diriger plusieurs chantiers en Franche-Comté – où il construit le théâtre de Besançon, l’un des premiers théâtres modernes – et d’obtenir la maîtrise d’œuvre sur les chantiers de la Ferme générale. À ce titre, il entreprend la construction de la célèbre Saline d’Arc-et-Senans (Doubs), vaste usine de production du sel, mais aussi la construction de la Barrière des Fermiers généraux, l’un des plus grands chantiers parisien du siècle. La tourmente révolutionnaire empêchera Ledoux d’achever ce que les Parisiens considéraient comme un monument du despotisme, ce « mur murant Paris [qui] rend Paris murmurant ».
À soixante-dix ans, Ledoux meurt discrédité. L’image d’architecte maudit que certains ont voulu lui donner paraît toutefois bien abusive au regard de la fulgurance de sa carrière, dans le Paris des Lumières.
1736 Naissance à Dormans (51).
1758 Après un apprentissage chez Jacques-François Blondel, Ledoux suit une formation d’ingénieur des Ponts.
1771 Louis XV le nomme commissaire aux salines de Lorraine et de Franche-Comté.
1773 Membre de l’Académie royale d’architecture.
1775 Construction de la Saline royale d’Arc-et-Senans.
1793 Arrêté, Ledoux est emprisonné jusqu’en 1795.
1806 Ledoux est inhumé au cimetière de Montmartre.
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Claude Nicolas Ledoux
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°581 du 1 juin 2006, avec le titre suivant : Ledoux