DOUCHY-LES-MINES
Au Centre régional de la photographie Hauts-de-France, l’artiste confronte ses images à un choix du fonds photographique, et rabat l’idée d’une nature fantasmée sur celle de communauté utopique.
Douchy-les-Mines (Nord). Implanté dans une région économiquement dévastée, le Centre régional de la photographie Hauts-de-France (CRP) est un des rares centres d’art français à posséder une collection, plus précisément un fonds photographique. À son invitation, Clarisse Hahn a conçu une exposition où elle mêle à ses propres œuvres des images empruntées à ce fonds. Intitulé « Nature, Jungle, Paradis, » l’ensemble forme un paysage qui exprime l’ambivalence du concept de « nature ».
L’exposition croise plusieurs trames d’images dont la première offre une plongée dans l’univers de l’industrie sidérurgique et de la mémoire ouvrière locale qui lui est attachée. Un chevalement émergeant d’herbes folles, des ouvriers posant dans les étagements de hauts-fourneaux ou bien dans des poses convenues au réfectoire… Cet arrière-plan composé à partir d’images historiques que l’artiste a choisies dans les collections reflète l’effacement de la violence du monde de la sidérurgie dans la propagande de l’usine. L’idéalisation alors produite sert désormais d’horizon nostalgique à une société qui a vu le travail et ses solidarités progressivement disparaître. Devant cette toile de fond mêlant couleurs et noir et blanc, l’artiste accroche ses propres images. Une première photographie de Rancheros (2015), montrant un groupe d’hommes mexicains, accueille les visiteurs. Ces hommes arborent tous Stetson ou casquette et chemise à carreaux. Les codes et rites de transmission générationnels dans la construction de la masculinité sont ici passés par le filtre du modèle occidental du cow-boy. Parmi eux, un jeune homme porte un tee-shirt avec l’inscription « etnies », manière de rappeler que l’invention de « l’autre » s’est effectuée depuis un regard scientifique occidental.
Cet « autre » anonyme, qui n’existe en tant que tel que pour renforcer l’exclusivité du regard dominant, revient en majesté dans l’exposition à travers la figure du migrant. Clarisse Hahn transfère en gravure sur marbre une image trouvée dans la presse locale de quatre jeunes hommes à Calais. Intitulée Aux aventuriers (2017), l’œuvre marque par la solennité de leur gestuelle, main levée vers le ciel en signe de victoire ou paumes ouvertes empruntées au Christ Pantocrator. En vis-à-vis de ce qui pourrait aussi être la pierre tombale de ceux qui sont restés sur la route, l’artiste présente des photographies de sa série « NATÜR » (2018). Des corps masculins tatoués y sont photographiés en plan américain sans tête, portant des livres ouverts. On croise une bible des témoins de Jehovah amérindienne illustrée par un paradis d’hommes blancs, un ouvrage de gymnastique nazie et ses corps idéalisés ou des images de la peuplade philippine Tasaday, une supercherie ethnographique. Dans tous les cas, il s’agit de visions d’un état de nature fantasmé que ces corps métaphoriques transportent au sens étymologique du terme en tenant ces ouvrages. La nature rejoint l’usine comme projection utopique, image d’un lieu que l’on ne peut pas atteindre, sauf à y replacer en son centre le corps activiste. C’est ce que montre le film Notre corps est une arme, los Desnudos (2012). Clarisse Hahn y filme des femmes mexicaines défilant nues, et parvenant à attirer l’attention sur elles dans leur lutte pour récupérer des terres volées : la terre n’est pas un lieu utopique et le corps est son espace politique.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°499 du 13 avril 2018, avec le titre suivant : Clarisse Hahn, au nord de l’Eden