Cicatrices de la violence

Intitulée No Man’s Land (Theater Backdrop), elle représente un paysage dépeuplé et militarisé, en avant-propos de l’exposition, qui se déploie à l’étage. Un aigle monumental y occupe l’espace, décomposé en plusieurs sculptures. Puis c’est une armée de têtes de soldats aux yeux clos, installée sur des piques métalliques. Enfin, des sculptures grandeur nature de cactus et deux grands soldats avachis achèvent de préparer le visiteur à la dernière salle, et le cœur de l’exposition : le film The Watchman. On y découvre le quotidien d’un jeune soldat qui garde la frontière de la République turque de Chypre, non reconnue par la communauté internationale. Dans ce film à mi-chemin entre rêve et réalité, où la violence n’est que latente, on retrouve tous les éléments vus précédemment – le paysage désertique, les cactus, les soldats aux yeux clos…

Si le projet s’ancre dans un lieu réel, l’approche d’Ali Cherri n’est pas documentaire : le recours à la fiction lui permet de transcender la réalité et de révéler l’absurdité des conflits armés. Cette exposition, pensée comme un tout cohérent, fait partie du projet que mène l’artiste depuis quinze ans, et qui concerne « les géographies de la violence et la manière dont nous pouvons retracer les histoires de la violence à travers leurs manifestations matérielles ». Né en 1976 au Liban, au début de la guerre civile, Ali Cherri a été fortement marqué par « l’expérience de la violence », qui « laisse des cicatrices invisibles qui peuvent se loger dans nos corps, dans le paysage, dans tout ce qui nous entoure ». Comme le présage le titre de l’exposition, « Le songe d’une nuit sans rêve », c’est avec force et subtilité qu’Ali Cherri, lauréat du Lion d’argent à la dernière biennale de Venise, célèbre le pouvoir de l’imagination dans un monde ravagé par des conflits géopolitiques dévastateurs pour les populations.