Davantage que le sujet, ses peintures mettent en avant le point de vue : cadrages en plongée et en contre-plongée. Sans doute le résultat des photos, films, souvenirs… que l’artiste collecte.
Scènes irréelles, surfaces aqueuses et mouchetées, couleurs froides mais explosives, les paysages tendus de l’Écossais Peter Doig se sont imposés au tout premier rang de la scène internationale en une petite vingtaine d’années à peine.
Né à Édimbourg à la fin des années 1950, Doig grandit un peu partout au Canada après une petite enfance passée dans les Caraïbes, à Trinidad, où il finira d’ailleurs par se réinstaller. Une biographie de fils de marin par laquelle l’artiste éclaire volontiers sa peinture.
Tout part du visionnage de Vendredi 13, le film d’horreur…
Au début des années 1980 pourtant, alors qu’il est étudiant à Londres, ses premières démonstrations figuratives ne laissent guère présager de ce qui fera la patte de sa peinture, à l’exception peut-être du refus obstiné d’une exécution lisse et propre. Doig s’appuie d’abord sur un trait graphique au service d’une esthétique urbaine outrée en forme de storyboards. Plus près des figures dissonantes et caricaturales de la Bad painting new-yorkaise que des futures compositions paysagères. C’est que l’heure est encore au règlement de compte avec la « tyrannie » de l’abstraction et du minimalisme, pour une réaffirmation insolente de la peinture figurative.
L’hagiographie date finalement le sujet source de Doig en 1987 et plus précisément au visionnage vidéo du slasher Vendredi 13, film d’horreur de Sean S. Cunningham tourné en 1980 et rapidement devenu culte. Le peintre fixe en photo instantanée une scène onirique durant laquelle une jeune fille est évanouie dans un canoë sur un lac. Le sujet, raconte-t-il, lui vient à la vue du développement de la photographie. En résulte un premier tableau immobile aux accents cosmologiques. Un tableau, un motif – le lac et le canoë – et un processus de création.
« Les gens parlent toujours du fait que je me suis inspiré de photos de films pour mes peintures, tempère Doig. Comme si c’était la seule chose que j’aie jamais faite. Mais c’est la seule de mes peintures qui ait jamais été inspirée par une photo de film (...) [plus] trois peintures en relation avec celle-ci. » Mais désormais, l’artiste peint en atelier, établit des variations sur motifs récurrents et travaille d’après photographies et souvenirs dont il attend qu’ils le poussent à peindre.
Des paysages intermédiaires, entre le réel et la pensée
Doig collecte cartes postales, photos, diapos, pochettes de disques,
brochures de voyage, peintures d’autres artistes ou souvenirs personnels de paysages vécus. Des stimulateurs en attente. De mémoire en mémoire, de recadrages en fragments, de reprises en reproductions, le tableau se construit à partir d’une première et vague image qu’il va abstraire, mixant parfois les sources.
Peter Doig met sous tension des motifs clichés, figure isolée dans le paysage, canoë – peint à cinq reprises –, bateau, pêcheur, skieur, neige, arbre nu, eau miroitante, reflets ou cabanes silencieuses. « Je pense, analyse l’artiste, que dans l’élaboration d’une peinture, ce qu’on cherche à représenter, ce n’est pas tant une image du réel qu’une image de quelque chose d’intermédiaire entre l’actualité d’une scène et ce qu’on a dans la tête. » Doig ne peint d’ailleurs de rémanences
des paysages vécus qu’une fois quittés. Ce qui pourrait bien concourir à cet exotisme indéchiffrable.
Sur la toile, la composition émerge par strates. Bandes horizontales ou pâte de peinture prise au tube et posée en flocons épais, zones fluides et acides étalées au chiffon, la matière s’affiche dans une composition saturée et flottante. Presque toujours en statique, comme engourdie.
« Je voulais créer une peinture ouverte »
À l’image du fameux 100 Years Ago (2001), étagement de cinq bandes horizontales – une masse d’eau, un long canoë orange, l’eau encore, une île et le ciel – barrées par la petite figure verticale et solitaire d’un homme sans visage – empruntée au bassiste du groupe Allman Brothers – assis dans l’embarcation face à un spectateur appelé à suivre le mythe, la dérive entre deux mondes ou deux époques.
Le point de vue est frontal, ouvert, et prend ses distances avec le procédé auquel Doig a tant fait appel dans les années 1990, abusant de réseaux et écrans neigeux, de rideaux de branchages ou longs filaments de peinture voilant le motif. « J’avais l’impression de réaliser des peintures selon un dispositif, admet le peintre, ou bien qu’il y avait dans mon travail une certaine méthodologie. Et je voulais créer une peinture ouverte. »
Les peintures les plus récentes continuent de se référer à des sources contemporaines, à jouer de cadrages soignés, d’espaces illogiques et de points de vue cinématographiques invitant le regardeur à entrer dans le tableau par effet d’empathie et de séduction, mais semblent se reconcentrer davantage sur l’espace interne de la peinture.
En quoi la situation de Peter Doig dans la peinture contemporaine est-elle singulière ?
Il y a chez Peter Doig une utilisation claire du motif. On sait ce qu’on regarde. Sa peinture est apparemment rassurante. Mais au-delà de ça et de cette délectation dans la couleur, elle joue sur une inquiétante étrangeté. La peinture de Doig relève presque du genre du fantastique au sens cinématographique du terme. Elle captive le regard et montre une réalité flouée, glissante où tout peut advenir. C’est à la fois palpitant et inachevé.
Que répondez-vous à ceux qui voient en Peter Doig une construction du marché ?
Ce reproche-là n’est fait qu’aux peintres. Je n’entends jamais dire que les néons de Lavier sont destinés au marché ! C’est un peu comme si la peinture n’était destinée qu’aux collections privées. Je crois que c’est cette vision-là qui condamne la réception de la peinture en France.
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C’est arrivé près de chez Peter Doig...
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Abonnez-vous dès 1 €Informations pratiques. « Peter Doig » jusqu’au 7 septembre 2008. Commissaire : Angeline Scherf. musée d’Art moderne de la Ville de Paris, 11, avenue du Président-Wilson, Paris XVIe. Ouvert du mardi au dimanche de 10 h à 18 h, le jeudi jusqu’à 22 h. Catalogue d’exposition, 180 p., éditions Paris Musées, 39 €.
Marché de l’art : comment se fabriquent les cotes.
Peter Doig est l’exemple même de l’artiste propulsé par un marché de l’art capricieux qui peut faire la cote et la carrière d’un créateur aussi vite qu’il sait les défaire (lire encadré p. 75). Parue dans L’œil n° 601, une enquête menée par les journalistes Roxana Azimi et Bénédicte Ramade revient sur les dessous de ce marché et de la fabrique de ses cotes. À lire intégralement sur le site de l’actualité du monde de l’art : www.artclair.com
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°603 du 1 juin 2008, avec le titre suivant : C’est arrivé près de chez Peter Doig...