Critique ou ludique, narcissique ou subversive, la relation de l’artiste au musée est souvent complexe et méritait bien une exposition. À New York, "Le musée comme musée", au Museum of moderne art (MoMA), explore les différentes facettes de cette attraction-répulsion avec des œuvres d’artistes aussi divers que Duchamp ou Struth, Buren ou Haacke.
NEW YORK (de notre correspondant) - “Idéalement, il faudrait piller les musées tous les cinquante ans et remettre leurs collections en circulation”, écrivait l’écrivain Bruce Chatwin dans son roman Utz. Peu d’artistes le contrediraient parmi les participant à l’exposition “Le musée comme muse” au MoMA : “La postérité est véritablement une garce qui en maltraite certains et en réhabilite d’autres (El Greco), tout en se réservant le droit de changer d’avis tous les cinquante ans”, disait Marcel Duchamp. Sans illusions sur les infidélités de la postérité, ce dernier n’en a pas moins soigneusement organisé l’installation de ses propres œuvres au Musée de Philadelphie. “Visiter un musée, c’est passer d’un vide à l’autre”, écrivait Robert Smithson, qui envisageait de créer “un musée consacré à différentes sortes de vides”. Certains artistes ne peuvent même pas entrer dans une exposition sans être pris de colère. “Le fait de connaître le genre de personnes qui décident de ce qui va entrer dans ces sanctuaires et de la façon dont nous sommes censés reproduire leurs goûts dans notre vie... suffit à provoquer en moi de l’hostilité, et c’est ce sentiment qui domine lorsque je me trouve dans un musée”, remarque Allan McCollum, qui a autrefois travaillé dans l’un d’eux.
La relation entre l’artiste et l’institution est souvent compliquée, ambiguë et angoissée. Kynaston McShine, conservateur et commissaire principal de l’exposition, note dans un essai du catalogue que “certains artistes ont décortiqué tous les aspects du musée comme ils auraient disséqué un organisme”. Le musée valide une œuvre d’art et inscrit les styles pionniers de la veille dans l’histoire de l’art, où ils deviennent des modèles académiques qui seront utilisés ou reniés par la génération suivante. Les artistes qui en sont exclus sont rapidement éliminés de l’histoire. Aujourd’hui, l’avant-garde d’hier n’a plus guère de considération pour l’hégémonie institutionnelle, et le mécénat semble devenu un geste courant et banal. Et McShine d’observer que “les artistes ont toute liberté de se comporter de la façon qu’on attend d’eux, leurs transgressions à l’égard du musée répondant généralement à l’image romantique qu’on se fait d’eux”.
Les fautes de goût du MoMa
L’exposition, qui présente une gamme d’œuvres étendue, commence par un tableau du XIXe siècle, L’artiste dans son musée de Charles Wilson Peale, se poursuit avec le musée romantique de Joseph Cornell et la Valise de Duchamp, et finit avec des œuvres de Vito Acconci, Sherrie Levine et Gillian Wearing. Plusieurs pièces, dont celles de Daniel Buren et Michael Asher, ont été spécialement commandées pour l’occasion : Buren a fait libérer une salle de la collection permanente abritant des Chirico qu’il a remplacés par des bandes portant sa signature, tandis que Michael Asher expose un listing informatique de toutes les œuvres que le MoMA a revendues depuis son ouverture, ce qui peut être interprété comme un catalogue des erreurs et failles cachées, des fautes de goût inavouées.
Dans “Le musée comme muse”, les artistes abordent l’institution de trois façons différentes. Il y a ceux qui créent leur musée privé : ils mettent en archives leur propre carrière, comme Duchamp avec ses valises – ces boîtes contenant une version miniature de l’ensemble de sa création – ou comme Marcel Broodthaers et les musées excentriques installés chez lui. Dans une performance, Broodthaers et ses amis, coiffés de chapeaux portant l’inscription “Musée”, ont construit sur une plage belge un château de sable presque aussitôt détruit par la marée. Toujours dans la même veine, certains érigent des monuments à la gloire de l’œuvre d’autres créateurs, comme Herbert Distel qui a inclus cinq cents artistes des années soixante et soixante-dix dans son Musée des Tiroirs.
La tendance “critique de l’institution”
Par ailleurs, d’autres dénoncent la véritable fonction du musée dans son rôle d’outil involontaire du pouvoir capitaliste ou d’arbitre méprisable du goût et des privilèges de la classe supérieure. Cette veine est apparue dans les années soixante-dix, avec la tendance “critique de l’institution” représentée par Louise Lawler ou Hans Haacke. Ce dernier attire l’attention sur l’influence qu’exerce le parrainage artistique des grandes entreprises sur l’activité apparemment neutre des conservateurs de musées. “Des expositions qui éveilleraient une conscience critique et présenteraient des produits de cette conscience de façon dialectique et en relation avec le monde social, ou qui étudieraient la question des relations avec le pouvoir, n’ont guère de chance d’être acceptées”, remarque Haacke, dont l’œuvre est pourtant souvent et largement exposée. Il présente au MoMA Cowboy with a cigarette (1990), qui tourne en dérision la participation de la société Phillip Morris à une exposition Picasso. La construction du musée en tant qu’environnement neutre et accueillant pour le visiteur inspire d’autres créateurs.
Dans Proximity piece de Vito Acconci – une performance de 1970 rejouée ici –, l’artiste traverse l’exposition en se tenant trop près des visiteurs, “essayant ainsi de franchir les frontières de leur espace personnel”. S’amusant de ces attaques idéologiques, le jeune Anglais Gillian Wearing propose Western Security, une installation vidéo qui met en scène un combat à coups de revolver, à la manière des cow-boys, dans les couloirs vides de la Hayward Gallery. “Je voulais créer quelque chose d’anarchique dans cet étonnant labyrinthe où nous nous comportons habituellement de façon si convenable”, déclare-t-il, reprenant une ancienne position d’avant-garde. Il y a enfin ceux qui utilisent l’institution dans leurs œuvres non pour des raisons polémiques, mais parce qu’ils y trouvent un matériau riche et se prêtant à l’ironie. Dans ses grandes photographies couleur mettant en scène des visiteurs devant les œuvres, Thomas Struth s’interroge sur les raisons qui amènent le public au musée et sur ce qu’il espère tirer de cette visite. Au milieu des années soixante, Richard Hamilton a réduit le Solomon R. Guggenheim à un gentil archétype de Pop Art. L’installation de Barbara Bloom, The Reign of Narcissism, est une galerie où tous les objets exposés proposent le visage de l’artiste dans une attitude reflétant indéniablement la vanité ou le solipsisme. “L’idée de l’exposition, c’était d’observer les différentes approches du sujet, et non de prendre une position particulière”, explique Kynaston McShine.
11 mars-1er juin, Museum of Modern Art, 11 W. 53th Street, New York, tél. 1 212 708 94 00, tlj sauf mercredi 10h30-18h, vendredi 10h30-20h30.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Ce musée qui fascine les artistes ou leur fait horreur
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°78 du 5 mars 1999, avec le titre suivant : Ce musée qui fascine les artistes ou leur fait horreur