BRUXELLES / BELGIQUE
Au Mima, quinze artistes résidant, ou étant liés à Bruxelles livrent chacun une expérience onirique, sucrée salée du présent.
Bruxelles (Belgique). Ouvert en 2016 le long du canal dans les murs d’une ancienne brasserie à Molenbeek, le Mima (Millennium Iconoclast Museum of Art) s’est affirmé dans le paysage artistique bruxellois par sa programmation originale et cohérente nourrie d’art urbain, de pop culture et de contestation sociale, alternant solo shows et expositions de groupe. Leur nouvelle exposition rassemble 15 artistes derrière un mot qui éclate : Popcorn. Ça explose dans tous le sens et il n’y a pas que les rayures rouges et blanches et le discret parfum douceâtre du grain de maïs soufflé flottant entre les étages qui unissent les différents créateurs. Le popcorn, c’est aussi le goût du spectacle et une forme en expansion, indéfinissable, voire monstrueuse.
Par sa composition immersive qui envahit murs et plafond, Julien Colombier (né en 1972) happe le visiteur dans un monde végétal luxuriant où toute présence humaine a disparu. Peintre autodidacte, il a couvert de ses fresques édéniques différents murs de Paris, comme ceux de la station de métro Châtelet pour un événement éphémère. L’enchevêtrement de larges feuilles enroulées sur elles-mêmes évoque un paradis inaccessible autant qu’une menace diffuse. Les cailloux qui tombent au-dessus de nos têtes semblent annoncer l’imminence d’une apocalypse.
Illustratrice, vidéaste et photographe, Elene Usdin (née en 1971) développe un art onirique qui sonde les sourdes inquiétudes de l’enfance. Elle montre une très belle peinture grand format ainsi qu’un conte gore en bande dessinée (publié dans le magazine Métal hurlant). Dans cette odyssée sans paroles aux couleurs électriques, Mary Bell suit les traces d’une petite fille tueuse, très attachée à sa poupée.
Le couple de créateurs Petra Mrzyk et Jean-François Moriceau (respectivement nés en 1971 et 1974) passe du dessin à l’animation avec un trait souple et enveloppant qui questionne avec légèreté les métamorphoses du corps. Pour « Popcorn », ils proposent des céramiques qui détournent avec humour les objets du quotidien. Dans l’élégance discrète d’une paire de palmes mocassins ou dans la douceur d’un téléphone banane.
Avec sa série de peintures de petit format, Delphine Somers a trouvé une faille entre le monde contemporain et la spiritualité du XVIe siècle. Inspirée par le Livre des Miracles, un manuscrit publié à Augsbourg (Allemagne), elle décrit avec l’art d’une miniaturiste des événements surnaturels improbables observés dans le présent et le futur. Il y a une femme dont le corps éviscéré gît sur une terre labourée, parce qu’elle a décidé de quitter cette enveloppe charnelle pour migrer avec les oiseaux, ou un cheval qui donne naissance à un homme qui prétend être le messie. Jouant des archétypes du folklore et de la mécanique du rêve, elle souligne que les hommes ne sont peut-être pas aussi rationnels que ce qu’ils le pensent.
De la pointe de son crayon, Amandine Urruty (née en 1982) crée des portraits composites d’une précision chirurgicale où l’univers de Toy Story rencontre celui de Jérôme Bosch. Ses compositions baroques sont truffées de références à la pop culture, au cinéma ou à l’art ancien, qu’elle prend un malin plaisir à dissimuler derrière des masques et des faux nez.
Dans sa série « Con Descendance », Silio Durt (né en 1985) s’interroge sur la transmission de la violence à travers l’éducation familiale et télévisuelle. Dessinateur et peintre compulsif et instinctif, il laisse de fulgurants portraits d’enfants souriants balafrés, décomposés par la couleur et barrés de mots implacables trop souvent lâchés à la face de ces chérubins. « Assisté, cafard, cruche, minable, avorton ou menteur », crient les lettres blocs, des mots avec lesquels les enfants sont priés de grandir et de se construire. Chaque dessin semble être un instantané d’une réalité bouillonnante de couleurs dans une quête esthétique de la désorganisation. Parfois l’artiste s’aventure dans des portraits abstraits où seul subsiste un vague ovale qui a bien du mal à contenir les traits et couleurs qui s’en échappent.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°628 du 1 mars 2024, avec le titre suivant : À Bruxelles, un méli-mélo d’artistes