Bruxelles ne manque pas de sel

Les avant-gardes dans la capitale belge

Par Philippe Régnier · Le Journal des Arts

Le 13 mars 1998 - 963 mots

La Belgique est aujourd’hui l’un des carrefours artistiques européens les plus actifs. De nombreux artistes allemands, français ou venant du continent américain y résident, et le pays abrite des ensembles d’œuvres de premier plan réunies par des collectionneurs passionnés. Dans ce contexte, la Foire d’art contemporain de Bruxelles, qui est également le rendez-vous marchand étranger qui attire le plus de Français – galeristes ou collectionneurs –, constitue la meilleure des invitations pour aller découvrir la riche actualité artistique de la capitale de l’Europe.

Révolution à Bruxelles. La Foire d’art contemporain, pour sa quinzième édition, cesse d’être biennale pour devenir annuelle. Pour Albert Baronian, président de l’Association des galeries d’art actuel de Belgique et organisateur du salon, “il est en effet indispensable que la foire soit organisée une fois par an, non seulement pour être présente dans l’esprit du public et des galeries, mais également pour trouver sa place parmi les autres foires internationales. C’est un passage nécessaire pour qu’elle devienne définitivement professionnelle”. Et, de fait, ce rendez-vous resserré, puisque réunissant quatre-vingt-dix galeries, proposera des œuvres de premier ordre, notamment dans le secteur accueillant les “jeunes galeries”.

Au même moment, la Banque Bruxelles Lambert présente la première rétrospective de cinq des artistes les plus importants de l’art minimal : Carl Andre, Dan Flavin, Donald Judd, Sol LeWitt et Robert Morris. Rassemblées avec la collaboration d’Urs Rausmüller, directeur de la Halle für Neue Kunst de Schaffhouse, d’André Gordts, conseiller artistique, et de Jan Van Kerckhove, directeur des Affaires culturelles de l’ambassade des États-Unis, les œuvres exposées proviennent pratiquement toutes de collections publiques ou privées belges. Carl Andre n’a pas manqué de déclarer que “le milieu de l’art new-yorkais est le pire du monde. Le flamand est l’un des meilleurs”. Il a d’ailleurs exposé tous les ans en Belgique, à partir de 1968, dans la célèbre galerie anversoise Wide White Space. Dan Flavin, quant à lui, a vendu en 1974 une œuvre historique, The Diagonal of May 25 (1963), à l’Association des amis du Musée d’art moderne de Gand. L’artiste a eu beaucoup de succès auprès des collectionneurs belges, tout comme son compatriote Sol LeWitt. Ce dernier a en effet réalisé pas moins de quinze Wall Drawings dans le pays. L’exposition comprend par exemple la réédition d’une autre œuvre historique, Circles and Grid (n° 115, 1972), que l’artiste a exécutée dans la maison d’un collectionneur gantois.

Au Palais des Beaux-Arts, Harald Szeemann présente une vision très personnelle de l’art autrichien, depuis le XVIIIe siècle jusqu’à nos jours. Les grands noms ne sont bien sûr pas oubliés, à l’image des Gustav Klimt, Oskar Kokoschka, Egon Schiele ou Arnold Schönberg, mais le commissaire de l’exposition a également tenu à présenter des figures plus inédites. Le titre, “Austria im Rosennetz”, fait évidement référence à ces espaces secrets soigneusement délimités par des haies de rosiers, l’une des iconographies récurrentes dans la peinture mariale des primitifs allemands. Grand amateur du concept de Gesamtkunstwerk (œuvre d’art totale), Harald Szeemann propose une exposition pluridisciplinaire dans laquelle un dialogue se noue entre les arts plastiques, l’architecture (Hans Hollein, Frederick Kiesler, Adolf Loos, Josef Hoffman, qui a construit le palais Stoclet à Bruxelles) et le cinéma (Erich von Stroheim, Georg Wilhelm Pabst). À côté des actionnistes viennois, elle réunit des artistes contemporains, parmi lesquels Franz West ou Heimo Zobernig. Dans un autre espace du Palais des Beaux-Arts, les Antichambres, se déploient les œuvres du jeune Viennois Peter Friedl, dont le travail pose les questions de la représentation et du fonctionnement des institutions artistiques. L’artiste a conçu son projet bruxellois en se basant sur l’architecture, l’histoire et le personnel du centre d’art. Il a ainsi réalisé des costumes évoquant des animaux, que peuvent enfiler aussi bien les membres de l’institution que les visiteurs.

Dans une toute autre atmosphère, le Musée d’Ixelles ouvre ses espaces à l’art russe. Sous le titre “L’avant-garde russe et la scène, 1910-1930” ont été sélectionnées trois cent cinquante œuvres issues de la collection Lobanov-Rostovsky. Projets de costumes et de décors pour le théâtre, le ballet, l’opéra, le cirque ou le cinéma se succèdent, révélant l’extrême inventivité qui régnait dans la Russie du début du siècle. Alors qu’il était de tradition de confier ces travaux à des artisans décorateurs, Savva Mamontov, homme d’affaires et mécène moscovite, avait décidé, vers 1880, de commander des projets de décors et des costumes aux artistes les plus talentueux de son époque. L’avant-garde plastique est ainsi entrée dans le spectacle vivant pour aboutir à une symbiose entre metteur en scène et peintre. Cette nouvelle conception a été montrée à l’étranger, non sans impact, notamment grâce aux mises en scène de Serge Diaghilev, présent à Paris en 1908. Alors que la Révolution russe de 1917 suscitait de nombreux espoirs dans les milieux artistiques, l’élan créateur fut stoppé net en 1932, pour faire place à un art officiel soviétique étranger à l’avant-garde. La collection Lobanov-Rostovsky, à l’honneur au Musée d’Ixelles, est certainement l’une des plus remarquables dans ce domaine. Constituée entre 1960 et 1980, elle est riche de plus de mille œuvres de cent quarante artistes. Une visite qui s’impose, avant d’aller admirer l’avant-garde contemporaine bruxelloise du théâtre et de la danse au théâtre Varia ou aux Halles de Schaerbeeck.

ART BRUSSELS, 24-28 avril, Heysel-Palais, 4 place de Bruxelles, Bruxelles, tél. 32 2 514 10 11, tlj 11h-20h, lundi 11h-22h, mardi 11h-18h.
MINIMAL ART, jusqu’au 3 mai, Banque Bruxelles Lambert, 24 avenue Marnix, Bruxelles, tél. 32 2 547 24 49, tlj 10h-18h.
PETER FRIEDL, jusqu’au 26 avril ; L’AUTRICHE VISIONNAIRE, jusqu’au 12 juillet, Palais des beaux-arts, rue Ravenstein 23, Bruxelles, tél. 32 2 507 84 68, tlj sauf lundi 10h-18h.
L’AVANT-GARDE RUSSE ET LA SCÈNE, 1910-1930, jusqu’au 30 mai, Musée d’Ixelles, 71 rue Jean Volsem, Bruxelles, tél. 32 2 511 90 84, tlj sauf lundi 13h-18h30, sam. et dim. 10h-17h.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°56 du 13 mars 1998, avec le titre suivant : Bruxelles ne manque pas de sel

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