L’artiste met son dessin réaliste à l’encre noire au service de son imaginaire, comme ici dans cette « bouture » onirique actuellement exposée au domaine de Chaumont-sur-Loire.
Bouture est une petite encre et aquarelle sur papier, réalisée par Fabien Mérelle. Elle est présentée dans le cadre de la nouvelle « Saison d’art » au Domaine de Chaumont-sur-Loire, au côté d’un ensemble d’œuvres de l’artiste ayant pour thème « l’arbre au corps ». Fabien Mérelle a toujours été un mordu du dessin. Son goût de la ligne lui vient de la bande dessinée, qu’il dévore des yeux et copie, enfant, des heures durant. Mais aussi de l’œuvre des maîtres renaissants italiens dont il regarde très tôt les dessins préparatoires comme des œuvres d’art à part entière. Lorsqu’il entre aux Beaux-Arts de Paris à l’aube des années 2000, Fabien Mérelle choisit le dessin comme mode d’expression privilégié, à un moment où ce médium n’est pas encore à la mode. Récompensée depuis par de nombreux prix, comme le prix Canson en 2010, l’œuvre de Mérelle a été exposée dans nombre d’expositions personnelles et, récemment, à la chapelle de la Visitation de Thonon-les-Bains et au CCCOD de Tours.
Papier, crayon, aquarelle, encre : le dessin chez Fabien Mérelle se veut minutieux, précis et fouillé. Quelques centimètres carrés peuvent occuper l’artiste une journée entière. Une maîtrise du trait qui doit à la bande dessinée et aux maîtres classiques comme aux techniques de la peinture traditionnelle chinoise auxquelles l’artiste s’est initié en Chine. Mais ce réalisme minutieux explore une sphère imaginaire et onirique : « Si je dessine de la façon la plus précise possible, ça n’est pas pour répondre au besoin du réel, c’est pour rendre possible ce qui ne l’est pas », explique-t-il. Et si dans ses dessins, l’artiste part d’un besoin d’exprimer un ressenti, en lien avec sa réalité intime, ses fantasmes et ses peurs, il essaie toujours de dépasser cette dimension personnelle pour interroger l’homme en général. Sorte de chronique dessinée d’un quotidien transformé par le filtre de l’imaginaire et du fantastique, les récits inventés par Fabien Mérelle mêlent ainsi réalité et fiction, autobiographie et mythologie. Les métaphores prolifèrent, hommes et bestiaires cohabitent, souvent s’hybrident, les temps se mêlent, les échelles sont contrariées, comme dans un rêve. Un rêve intriguant dont les bribes flottent dans un espace blanc immense, ouvert à la mémoire de tous.
Dans Bouture, la tête représentée figure un autoportrait de dos de l’artiste. Porteur d’une dimension autobiographique, le modèle chez Fabien Mérelle vient de la sphère de l’intime : l’artiste lui-même, ses enfants, sa femme. C’est d’abord à l’autoportrait qu’il s’est essayé, se représentant toujours en pyjama rayé : double de l’artiste, à la fois lui et un autre, comme Charlot et Chaplin… À ses débuts, Fabien Mérelle se représente parce que c’est « pratique » : « Je ne dérangeais personne en loupant mon visage, en posant pendant des heures… Puis l’envie de faire la chronique d’un homme lambda m’est venue, comme le besoin d’extérioriser ce que je vivais. » L’œuvre de Fabien Mérelle se décline ainsi en journal, telle une chronique du quotidien qui capte ce que l’artiste vit, ses peurs et ses désirs, avant de s’ouvrir à l’histoire de chacun. Il y a aussi un enjeu particulier à se représenter ou à représenter un proche, un degré de présence à l’autre et à soi qui n’est pas tout à fait le même qu’avec un modèle lambda : « Faire un dessin, c’est un long processus, de plusieurs semaines. Je dois désormais, pour m’y atteler, être certain que ce que je raconte me tient vraiment à cœur. L’intime donne une intensité plus grande à ces gestes que je fais pour capter le réel. »
Dans Bouture, l’homme s’hybride au végétal. De même que souvent, dans d’autres dessins, il se métamorphose en animal : homme-pieuvre, homme-cerf, homme-oiseau ou papillon… Les métamorphoses, récurrentes dans le travail de Fabien Mérelle, sont des métaphores du vivant et de la destinée humaine. Ce qu’elles suggèrent ? La force de la nature, les pulsions de vie et de mort, le poids des traditions, la difficulté d’être. Échos à la réalité intime de l’artiste, ces métamorphoses se réfèrent évidemment aussi à l’histoire de l’art et à la bande dessinée. Il en est ainsi de l’omniprésence de l’arbre, comme l’évoque Fabien Mérelle : « J’ai regardé tous ces immenses artistes qui, avant moi, ont abordé le sujet de l’arbre, des primitifs italiens, en passant par Brueghel, Rubens, Caspar Friedrich jusqu’à Giuseppe Penone. J’ai été fortement marqué par une visite à la Villa Borghèse, les Bernin, Apollon et Daphné. Et je me suis jeté sur les Métamorphoses d’Ovide. J’ai aussi regardé, en les mettant au même niveau parce qu’il s’agissait de dessin, Mœbius ou Windsor McCay et son Little Nemo. » C’est ce méli-mélo qui nourrit son travail.
La figure hybride, noire et dense, se détache sur une vaste étendue de blanc. Cet effet est caractéristique des dessins de Fabien Mérelle où animaux, figures humaines, éléments de paysages paraissent flotter dans l’espace vide qui les entoure. Espace de rêverie, de projection possible pour celui qui regarde. « Le blanc n’est pas du vide, le blanc me permet de laisser place à votre imaginaire. Si je dessine une île, sans dessiner l’eau qui l’entoure, en ne laissant que le blanc, votre cerveau, mieux que mes pinceaux, reconstitueront les flots », considère-t-il. Cette utilisation libre et inventive du blanc du papier lui vient en partie de la BD, Fabien Mérelle s’inspirant par exemple de l’onirisme de l’univers de Mœbius dans les dessins duquel les figures se perdent dans l’immensité d’un presque rien. Mais cet usage du blanc provient aussi de ce que Fabien Mérelle a appris de ses séjours prolongés en Chine en se confrontant aux rudiments de la peinture traditionnelle : « Les artistes chinois n’ont pas peur du vide sur le papier, ils ne culpabilisent pas à l’idée de laisser des blancs sur la feuille. C’est ainsi qu’on contemple le mieux un paysage. J’ai beaucoup appris de leur école. »
Enfant, Fabien Mérelle grandit près d’une forêt dans laquelle il aime « se construire des mondes ». Devenu adulte, l’artiste se promène souvent dans la vallée de la Loire qu’il a choisie comme lieu de création et de vie. Source d’inspiration, la nature réapparaît dans maints dessins. Paysages, fleuves, îles, cabanes en bois, forêt, arbre ou homme devenu arbre : tous reflets d’une nature intériorisée, lieu de protection, de peurs, de menaces, de rêves ou de fantasmes. Bouture reflète la récurrence du motif de l’arbre dans la pratique de Fabien Mérelle. Ce motif fut d’abord pour l’artiste « une simple envie graphique, un Everest du dessinateur qu’on a envie d’atteindre ». Puis les représentations d’arbres se sont multipliées, et souvent le motif s’est hybridé à la figure humaine. Récurrence qui résulte, pour l’artiste, du besoin d’abolir les frontières entre soi et la nature : « Ma génération a été nourrie de discours sur la fin du monde, l’écocide. J’essaye, artistiquement parlant, de confondre chair et écorce pour que cette rupture entre le reste du vivan
"Le Dindon"du Rivau
À 1 h 30 de Chaumont-sur-Loire, au château du Rivau, dans l’Indre-et-Loire, on aime aussi les dessins de Fabien Mérelle. Dans l’« acte II » de l’exposition « Le goût de l’art », Patricia Laigneau, la collectionneuse et propriétaire des lieux, présente ce Dindon de 2011. Dans cette œuvre, on devine le dessinateur dans son pyjama rayé, les fesses en l’air, pris comme un vers dans le bec du gallinacé. Très drôle et décalé, Le Dindon est à l’image de l’exposition…
Fabien Simode
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Bouture de Fabien Mérelle
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°744 du 1 juin 2021, avec le titre suivant : Bouture de Fabien Mérelle