Au Musée de la chasse, Sophie Calle et Serena Carone engagent un dialogue chargé d’émotion autour de la mort et du souvenir.
Paris. Elles se connaissent depuis l’enfance. Sophie Calle, qui fêta ses 64 ans le jour du vernissage de l’exposition, le 9 octobre, livre depuis près de quarante ans le jeu de piste de sa vie intime (« La chasse je connais, dit-elle, mais la chasse à l’homme »). Serena Carone, de cinq ans sa cadette, est sculptrice d’œuvres naturalistes, à mille lieues de l’art conceptuel narratif de son amie. Invitée à exposer au Musée de la chasse, Sophie Calle l’a conviée à un dialogue rempli à la fois d’émotion et de truculence, où il est beaucoup question de ceux qu’elle nomme « mes morts ».
Son père d’abord, à qui l’exposition est dédiée, décédé en 2015. Et puis les autres. Sophie Calle adore les animaux empaillés, sa maison en est remplie. Chacun représente un proche : le tigre, son père ; la girafe, fut achetée à la mort de sa mère. Plusieurs sont venus au musée – pas la girafe, elle ne pouvait pas se séparer d’elle. Sophie Calle trône au milieu d’eux, veuve joyeuse au visage masqué par un voile de crêpe. Serena Carone l’a représentée dans une robe de faïence grouillant de bestioles multicolores, délire baroque à la Bernard Palissy. La statue sera le gisant de Sophie Calle.
Au fur et à mesure que l’on monte dans les étages gorgés d’œuvres du Musée de la chasse, le dialogue se découd mais l’intensité demeure. Chacune, à sa manière, s’intègre à merveille dans le parcours si subtil et riche du musée.
Pour Sophie Calle (qui a pris la peine de voiler l’ours blanc, symbole du musée devenu fantôme), ce sont principalement des souvenirs très personnels sous forme de textes qu’elle enchâsse dans des cadres kitsch, de ces objets de résine qu’on ramène de voyage pour les oublier aussitôt – ou des témoins de moments importants de sa vie, comme cette tasse volée à la fin d’un repas en amoureux. La visite du musée prend alors des allures de chasse. Comme celle qui la conduit, en 1980, à produire la Suite vénitienne, œuvre fondatrice où l’artiste suit un inconnu et photographie sa traque. Pour le Musée de la chasse, elle s’est plongée dans les annonces matrimoniales du magazine Le Chasseur français et en tire un répertoire des qualités recherchées par les hommes : « jolie, intelligente si possible ».
À cet art textuel, Serena Carone ajoute des images, la plupart luisantes de faïence émaillée : la peau de l’ours étendue par terre, une Pleureuse au profil délicat, une pieuvre échevelée, une tête de porc pendue à un crochet. Chacune racontant un certain rapport à la mort, si proche de la vie.
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Bestiaire à deux voix
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°488 du 3 novembre 2017, avec le titre suivant : Bestiaire à deux voix