Bernard Frize, la peinture à perte de vue

À la formule jadis énoncée par Marcelin Pleynet – « l’un des aspects de la modernité consiste à mettre en évidence le déroulement formel de l’exécution des peintures » –, la démarche de Bernard Frize semble apporter un total crédit. Délibérément simples, les opérations mises en œuvre par l’artiste dans la réalisation de ses peintures, depuis plus de vingt ans qu’il est apparu sur la scène artistique, relèvent d’une volonté résolue de dépersonnalisation au bénéfice de l’acte de peindre lui-même. Frize n’a de cesse de pousser la peinture dans ses retranchements de sorte à ne donner à voir que le fait pictural dans sa définition proprement ontologique de l’application d’un médium sur une surface selon un protocole préétabli. Aussi chacune de ses figures ne dépend-elle jamais que d’une manière de faire, d’une décision fixée à l’avance, exécutée sans repentir, conférant au tableau, pour finir, l’aspect d’une peinture sans qualité. Et pourtant, paradoxalement, la sienne n’en manque pas, comme en témoigne la centaine d’œuvres que présente le musée d’Art moderne de la Ville de Paris. Le paradoxe réside encore dans ce que celles-ci possèdent une incroyable liberté de facture alors même que l’artiste insiste sur les procédures systématiques qui les engendrent. C’est que rien n’est finalement plus ouvert qu’une règle du jeu : si elle détermine un cadre, elle laisse toute latitude à l’intérieur de celui-ci et autorise alors toutes les déclinaisons possibles. C’est à leur incessante exploration que se consacre l’art de Frize offrant ainsi à la peinture un champ expérimental à perte de vue.