Face-à-face

Bacon Picasso, portraits croisés

Le Journal des Arts

Le 18 mars 2005 - 681 mots

L’influence de Picasso sur l’œuvre de Francis Bacon était revendiquée par l’artiste irlandais.

 PARIS - Picasso (1881-1973) a assimilé dans son œuvre les grands maîtres qui l’ont précédé, mais l’artiste espagnol a également marqué nombre de ses contemporains. C’est à son influence sur Francis Bacon (1909-1992) que le Musée Picasso de Paris consacre aujourd’hui une exposition en forme de face-à-face. Cette influence indéniable fut revendiquée par l’artiste irlandais lui-même, qui dit avoir été marqué par l’exposition des « Cent dessins par Picasso » en 1927 à la galerie Paul Rosenberg à Paris, ici évoquée à travers une reconstitution établie à partir de photographies d’archives. Une découverte à 18 ans qui le conforte dans son envie d’être peintre. Les Picasso présentés, qui appartiennent au musée, sont confrontés à des tableaux importants de Bacon, prêtés par de prestigieuses institutions (grand triptyque de la collection de la Fondation Beyeler, dont proviennent plusieurs tableaux ; Étude pour une corrida, 1969, du Musée des beaux-arts de Lyon, mise en regard avec une Corrida de Picasso de 1922, proche de sujet et de composition). Cette réunion de chefs-d’œuvre accrochés avec une certaine monotonie est pourtant loin de l’apport scientifique d’une exposition comme « Picasso-Ingres » présentée en 2004 dans le même lieu, résultat d’un travail de fond qui avançait des interprétations nouvelles et une relecture de l’histoire de l’art en démontrant une passionnante filiation.
En une centaine d’œuvres réparties en six sections, l’exposition explore les grands thèmes de l’œuvre de Picasso – les baigneuses, la crucifixion, la tauromachie, le portrait – que l’on retrouve dans les toiles d’un Bacon particulièrement marqué par les œuvres du peintre espagnol dans sa période surréaliste (1927-1930) et dans celle, plus noire, précédant la Seconde Guerre mondiale. Bacon semble en revanche avoir été moins sensible au Picasso d’après guerre. Outre les sujets, on retrouve chez l’un et l’autre des similitudes de composition et de forme (Intérieur d’atelier de Bacon, 1934, et La Nageuse de Picasso de 1929). Mais les deux peintres ne se sont jamais rencontrés, ce jeu d’influence reste donc purement pictural.

Quête d’expressivité
Il y a chez Picasso comme chez Bacon une obsession du corps en transformation, métamorphosé, déformé, démembré, avec une violence et une cruauté plus affirmées dans l’œuvre de l’artiste irlandais. Sa peinture est dramatique, de chair et de sang ; il s’agit davantage d’un jeu pour Picasso lorsqu’il peint ses figures anthropomorphiques et surréalistes. Les Crucifixions de Picasso des années 1930-1932 marquent Bacon, même s’il ne les a probablement vues qu’en reproduction. Trois études de figures à la base d’une Crucifixion de 1988 – seconde version d’un triptyque de 1944 –, conservé à la Tate Britain à Londres, reprend des éléments de la version de Picasso de 1930, en plus noir, isolant les figures criantes sur des fonds rouge sang. La Crucifixion de 1930 et le triptyque avaient été présentés pour la première fois ensemble au Musée Picasso en 1992 à l’occasion de l’exposition « Corps crucifiés ». Les deux artistes ont affirmé n’avoir jamais réussi à peindre une crucifixion, et que le sujet les avait l’un comme l’autre finalement portés vers « autre chose ». Francis Bacon considérait cette œuvre comme un autoportrait. Anne Baldassari, commissaire de l’exposition et auteure du catalogue, envisage leurs Crucifixions comme des métaphores de l’artiste au travail, peignant sous la torture.
L’influence de Picasso sur Bacon est également manifeste dans ses portraits tournés vers le cubisme et le surréalisme (Étude d’Isabel Rawsthorne, 1966). Il décompose les visages en touches larges, reconstruisant un autre portrait, très torturé, dans des tonalités sombres. Malgré les déformations subies et leur violence, les figures de Bacon – comme celles de Picasso – restent profondément humaines. C’est sans doute cette quête constante d’expressivité qui rapproche les deux maîtres, au-delà même des jeux formels et des sujets communs.

BACON PICASSO, LA VIE DES IMAGES

Jusqu’au 30 mai, Musée Picasso, Hôtel Salé, 5, rue de Thorigny, 75003 Paris, tél. 01 42 71 25 21, tlj sauf mardi, 9h30-17h30 jusqu’au 31 mars, 9h30-18h ensuite, www.musee-picasso.fr. Cat., coéd. Flammarion/RMN, 240 p., 200 ill., 40 euros broché, ISBN 20801-1414-X ; 55 euros relié, ISBN 20801-1458-1.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°211 du 18 mars 2005, avec le titre suivant : Bacon Picasso, portraits croisés

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