Qu’est-ce qui réunit Martin Barré, Jean Degottex, Raymond Hains, Simon Hantaï et Jacques Villeglé ? Certains d’entre eux, pour écarter d’emblée toute réponse à l’emporte-pièce, ont parfois collaboré à des projets communs, exposé ensemble ou, pour prendre un PPCM (plus petit commun multiple), ont tous travaillé à Paris entre 1955 et 1975. Jamais rassemblés de la sorte, les cinq artistes, loin de trouver dans « La peinture après l’abstraction » la démonstration d’une quelconque synergie de leurs démarches, apparaissent paradoxalement confortés individuellement dans leurs propres cheminements.
PARIS - Il est parfois difficile de dater avec précision les glissements, les mutations, surtout lorsque celles-ci se font progressivement, insidieusement, à l’insu même de leurs acteurs. Autosatisfait d’un côté de la énième École de Paris (abstraite cette fois), porté de l’autre par la vague du Surréalisme qui n’en finissait pas de s’échouer sur une plage de plus en plus déserte, le Paris de l’après-guerre n’a certainement pas mesuré combien le titre de capitale artistique mondiale lui échappait irrésistiblement, surtout sous la plume des critiques américains. L’année 1955, qui voit notamment la montée en puissance à New York d’artistes comme Rauschenberg ou Johns, est aussi celle de l’affirmation du travail de cinq artistes aux recherches souvent parallèles mais rarement convergentes, du moins a priori : Barré, Degottex, Hains, Villeglé et Hantaï. Cette année-là est aussi celle de la rupture de Hantaï avec le groupe surréaliste, lui dont le catalogue de sa première exposition personnelle, à la galerie l’Étoile Scellée en 1953, avait été préfacé par André Breton. Hantaï s’oriente alors vers l’abstraction, poussé dans cette voie par les peintures de Jackson Pollock. L’exposition du Musée d’art moderne de la Ville de Paris comprend d’ailleurs un autre clin d’œil au travail de l’Américain : une pièce de Jacques Villeglé, couverte de tâches et de coulures d’encre, simplement titrée L’Anonyme du Dripping (13 avril 1967).
Placer sous la bannière de “la peinture” des pratiques artistiques qui n’utilisent ni pinceau, ni pigment, ni même de toile, pourra cependant étonner. Reste que la démarche de plasticiens tels que Raymond Hains ou Jacques Villeglé, rapidement catalogués parmi les “Affichistes”, rejoint, dans la construction des œuvres et l’utilisation des surfaces imprimées comme autant de couches colorées, une pratique quasi picturale. En témoignent Les Nymphéas (novembre 1957) de Jacques Villeglé ou Les Nymphéas (1961) de Raymond Hains. Aux décollages de ces deux derniers et aux pliages de Hantaï, répondent dans les grandes salles du musée les compositions de Martin Barré, qui peu à peu se libèrent du signe dans une problématique dépassant la surface picturale. Aussi, seules les toiles de Jean Degottex peuvent-elles apparaître un peu décalées, moins singulières, d’autant que l’exposition ne présente peut-être pas les meilleures œuvres de l’artiste, dont le travail, de toute façon, s’inscrit dans le contexte largement balisé de l’informel.
Conçue comme une confrontation inédite de démarches individuelles, “La peinture après l’abstraction” s’achève par cinq salles monographiques. Aussi intéressants soient-ils, ces rapprochements confirment des pratiques souvent autonomes dans le vaste champ de l’art abstrait, cinq artistes qui, de 1955 à 1975, se sont affranchis du poids d’une certaine histoire de la peinture à Paris.
Jusqu’au 19 septembre, Musée d’art moderne de la Ville de Paris, 11 avenue du Président-Wilson, 75116 Paris, tél. 01 47 23 61 27, tlj sauf lundi 10h-17h30, samedi-dimanche 10h-18h45. Catalogue 244 p., 320 F. ISBN 2-87900-460-8.
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Au Palais de Tokyo, l’abstraction faite peinture
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°85 du 11 juin 1999, avec le titre suivant : Au Palais de Tokyo, l’abstraction faite peinture