Art contemporain

Arles, ultime étape de la Biennale de São Paulo

Par Anne-Cécile Sanchez · Le Journal des Arts

Le 2 février 2023 - 863 mots

ARLES

La sélection d’œuvres de la biennale pauliste d’art contemporain exposée à la Fondation Luma d’Arles entend rendre compte des préoccupations de la société brésilienne.

Arles. La Biennale de São Paulo, historiquement l’une des toutes premières à avoir été créée, reste aussi l’une des plus regardées. Reportée de 2020 à 2021, sa 34e édition a été conçue dans un contexte politique, économique et sanitaire particulièrement contraignant. À des milliers de kilomètres du Brésil, la Fondation Luma, à Arles, accueille la dernière étape d’itinérance de cette manifestation. Celle-ci pourrait sembler à plus d’un titre, lointaine, d’autant que les problèmes qu’elle entend aborder (sociaux, raciaux, environnementaux) étaient exacerbés au moment de sa genèse. Mais « il existe une synergie très forte entre la biennale et Luma sur les questions liées à l’environnement, aux minorités indigènes, à une relecture de l’histoire coloniale », assure Vassilis Oikonomopoulos, directeur des expositions et des programmes à Luma Arles.

Cette sélection d’œuvres présentées en Camargue – après avoir voyagé dans huit villes du Brésil et à Santiago du Chili – constitue une première en France. Elle offre une visibilité à des artistes issus de pays et de cultures variés, une résonance européenne renforcée à la Fundaçao Bienal São Paulo qui organise l’événement tous les deux ans et aussi une ouverture sur l’hémisphère sud à la fondation arlésienne, ainsi qu’à ses différents publics. Mais toute la difficulté était, en adaptant l’exposition d’origine à un format réduit (en tout quatorze artistes de sept pays), de ne pas en donner une version réductrice. Pour « en traduire l’esprit », explique son commissaire en chef, Jacopo Crivelli Visconti, il fallait rendre compte de son caractère engagé, en réaction à la réalité brésilienne, mais aussi de ses choix esthétiques. Le titre, « Même dans la pénombre, je chante encore », illustre la dualité ou, du moins, la recherche d’équilibre qui a prévalu dans cette édition.

Dénoncer de la colonisation

La série des « Portraits de Frederick Douglass » ouvre l’exposition, en proposant un retour en images sur cet abolitionniste afro-américain qui fut, de manière délibérée, l’une des personnalités les plus médiatisées de son époque. On peut, sans que rien ne l’impose, voir un écho à cette histoire de circulation des images dans le court métrage Alma no olho (L’Âme dans l’œil) du cinéaste Zozìmo Bulbul (1937-2013) qui se joue, en les contrefaisant, des stéréotypes associés à l’homme noir. Tout est affaire d’interprétation dans cette sélection. Placé au début du parcours, le mur des monotypes de Carmella Gross (née en 1946, à São Paulo), ne se réfère ainsi à aucune actualité : l’artiste a glané une collection d’images de volcans, les a traitées numériquement, puis les a retravaillées au crayon et à l’encre. Elle a ensuite transféré ces formes par un procédé de gravure sur du papier ou de la soie, en laissant le hasard faire son œuvre. Alignées les unes à côté des autres, les taches sombres qui résultent de ce processus, chacune de taille et de densité différente, composent une succession de cris silencieux. Le titre de l’ensemble, « Boco do Inferno » (« La bouche de l’enfer »), est une référence au surnom de Gregório de Matos, poète portugais du XVIIe siècle connu pour ses pamphlets politiques. De même, les céramiques de Victor Anicet (né en 1938, en Martinique), si elles séduisent d’abord par leur aspect décoratif, parlent aussi du passé colonial des Caraïbes.

Dans la vidéo Astérismes (2021, voir ill.), Amie Siegel (née en 1974, à Chicago) s’intéresse « aux déplacements géologiques et sociaux à l’échelle planétaire »à travers un focus sur les Émirats arabes unis. La perfection de ses images documentaires, du palais royal où sont dressés et bichonnés de somptueux pur-sang arabes à la construction d’îles artificielles au large de Dubaï, en passant par des vues de la désertification, la juxtaposition des séquences, évoquant une configuration sidérale, font de son film un objet hybride, trop beau pour être vraiment inquiétant – ou le contraire. Les doubles niveaux de lecture des œuvres s’enrichissent aussi de perspectives historiques. Ainsi de « Dilatáveis » (« Dilatables »), la série de dessins héliographiques de Regina Silveira (née en 1939, au Brésil), commencée sous la dictature militaire, symboles de l’ordre et du pouvoir, dont les ombres exagérément allongées semblent s’étendre jusqu’à aujourd’hui.

Art et revendications

La 34e édition de la Biennale de São Paulo fut marquée par un drame, en novembre 2021 : le suicide de Jaider Esbell, artiste, écrivain, éducateur, activiste, issu de l’ethnie amérindienne des Makushi. Jaider Esbell avait, le jour de l’inauguration, hissé une bannière plaçant la manifestation sous l’égide des « peuples indigènes ». Tracée en surimpression des pages d’un livre d’art européen d’occasion, son œuvre, textes et dessins dénonçant les ravages du colonialisme, offre littéralement une relecture de l’histoire tout en se présentant comme une réappropriation de la culture occidentale [voir ill.]. Elle venait d’être acquise par le Centre Pompidou.

D’un hémisphère à l’autre, cet extrait de la Biennale de São Paulo rend compte des revendications portées par l’art contemporain, de leur acuité et de leur pertinence. Dans sa volonté d’éviter cependant tout dogmatisme, il témoigne aussi d’une approche de l’exercice « curatorial » qui invite à spéculer sur la prochaine Biennale de Venise qui se tiendra en 2024 : son directeur artistique, Adriano Pedrosa, est le premier Latino-Américain à occuper cette fonction.

Même dans la pénombre, je chante encore. Œuvres de la 34e Biennale de São Paulo,
jusqu’au 5 mars, Fondation Luma, Parc des Ateliers, 35, avenue Victor-Hugo, 13200 Arles.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°604 du 3 février 2023, avec le titre suivant : Arles, ultime étape de la Biennale de São Paulo

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