ARLES
Concurrencées par de tout jeunes festivals de photographie, en régions et à Paris, et par le projet de la Fondation Luma en Arles, les Rencontres de la photographie doivent se remettre en question. Leur survie en dépend.
La belle, très belle programmation des Rencontres de la photographie d’Arles de cet été, après quelques dernières années décevantes, en fera un bon cru. Et pourtant, depuis la précédente édition, le directeur de la manifestation, François Hébel, s’inquiète de son avenir face au projet de la Fondation Luma, de Maja Hoffmann, sur le site des anciens ateliers SNCF, lieu d’accueil depuis plus de quinze ans de la moitié des expositions du festival. Le feu vert accordé en juillet dernier par les architectes des bâtiments de France du service départemental des Bouches-du-Rhône au projet de construction de la tour imaginée par l’architecte américain Frank Gehry pour la Fondation sonne en effet comme une menace pour le directeur des Rencontres.
Un projet salvateur
Cet avis favorable donne à Maja Hoffmann, héritière des laboratoires Roche, collectionneuse et mécène, l’amplitude nécessaire à la métamorphose de ce même site en un vaste territoire d’expositions, de productions, de résidences et de rencontres dédiées à l’image et à l’art contemporain. Au festival donc de réadapter, dès l’année prochaine, la voilure de ses expositions puisque les Rencontres ne bénéficieront plus que de la Grande Halle, soit un tiers du parc des Ateliers. À moins que François Hébel ne puisse concrétiser rapidement son projet de création du Centre mondial de la photographie visant à restructurer la manifestation de manière à produire une activité à l’année d’expositions, de formation et d’éducation et à trouver un lieu ou des lieux adéquats.
Coût de l’opération : 47 millions d’euros sur dix ans qui seraient financés pour partie par l’État, la région, le département et la municipalité, et pour l’autre par les activités que ce Centre générerait. En cette période de budget à la baisse, il paraît toutefois peu probable que les différents partenaires publics des Rencontres (financiers à hauteur de 40 % du budget) soient en mesure de donner satisfaction au projet de leur directeur. La mairie d’Arles, commune pauvre du département, ne peut lui proposer « que » des espaces. Le ministère de la Culture, déjà engagé financièrement à hauteur de 19 millions d’euros dans la construction du nouvel édifice de l’École nationale supérieure de la photographie d’Arles, face au parc des Ateliers, et dans les Rencontres (600 000 euros), ne peut, de son côté, démultiplier les dépenses pour la photographie, même si les Rencontres d’Arles sont à cet art ce qu’est Cannes au cinéma ou Avignon au théâtre.
Cela signifie-t-il pour autant que le festival est menacé dans son existence, comme le laisse entendre François Hébel ? Pas vraiment, même s’il devra réduire dès l’année prochaine le nombre actuel d’expositions (cinquante). Ce n’est pas la quantité qui fait la qualité (certaines éditions précédentes l’ont montré), ni ne menace la position d’Arles en tant que grand rendez-vous international de la photographie.
Par ailleurs, les projets respectifs de Maja Hoffmann et de François Hébel ne sont pas concurrents, mais complémentaires, surtout pour l’économie d’Arles, ville de 50 000 habitants qui bénéficiera aussi de l’ouverture prochaine de la Fondation Van Gogh. D’autre part, Maja Hoffmann a toujours soutenu le festival. Elle fait partie du conseil d’administration, contribue annuellement à hauteur de 100 000 euros à son budget et, cette année, a coproduit avec les Rencontres l’exposition « Wolfgang Tillmans ». Dernière proposition en date faite à François Hébel : l’augmentation de sa participation lorsqu’il devra louer la Grande Halle du parc des Ateliers, manière de compenser le montant du loyer.
Certes, le niveau budgétaire des Rencontres (5,4 millions d’euros en 2013) induit d’assurer le financement tant public que privé. D’où ce projet de François Hébel de créer une structure permanente qui fournirait une assise financière plus solide aux Rencontres, mais aussi d’inscrire plus en profondeur les actions envers les publics et les scolaires.
Les festivals concurrents
À l’instar de certains autres festivals de photo qui se sont créés depuis quelques années, comme ImageSingulières à Sète, les Promenades photographiques de Vendôme ou les Photaumnales de Beauvais, issus tous les trois d’abord d’une rencontre entre une structure associative dédiée à l’année à la photographie (que ce soit au niveau des expositions ou de l’éducation à l’image auprès des scolaires) et une municipalité désireuse de soutenir un événement apportant un autre éclairage sur la ville, un autre type de tourisme aussi. Trois manifestations en expansion au regard de la qualité de leur programmation, à la ligne éditoriale et philosophique née en réaction à l’évolution d’Arles et à la non-évolution de Visa pour l’image, autre grand festival photo, dédié quant à lui au photojournalisme, qui se déroule en septembre à Perpignan.
« En tant que photographe, je me suis beaucoup éclaté à Arles quand j’étais jeune, car c’était un festival ouvert. Maintenant, c’est un lieu qui s’est refermé sur lui-même. Si on n’a pas les accès VIP la première semaine d’ouverture en tant que jeune photographe, on ne voit plus grand monde. L’entrée des expositions coûte de son côté très cher et la lecture de portfolios revient à 300 euros », souligne Gilles Favier, cofondateur en 2008 avec Valérie Laquittant d’ImageSingulières. Tout est de fait gratuit à Sète, Beauvais, Vendôme, tout comme dans le village de La Gacilly en Bretagne ou à Toulouse lors de ManifestO, deux festivals au succès grandissant grâce à leur ligne éditoriale de qualité et à leur atmosphère chaleureuse. Idem pour l’exposition du quai Branly, à Paris, organisée dans le cadre de Photoquai.
En Arles, le forfait toutes expositions, une entrée par lieu, revient à 36 euros (29 euros tarif réduit), le forfait à la journée coûte 28 euros. Les projections nocturnes de la première semaine, où tout le petit monde de la photo aime se retrouver, sont elles-mêmes devenues payantes (13 euros). Et Gilles Favier de poursuivre : « Il y avait donc de la pertinence à créer un autre festival beaucoup plus petit qui reprendrait les valeurs perdues d’Arles, c’est-à-dire convivialité, accessibilité. ImageSingulières n’aurait pas eu de raison d’être si les Rencontres ne s’étaient pas refermées comme une coquille et si Visa ne s’était pas axé que sur le photojournalisme. » Même commentaire du côté de Fred Boucher, cofondateur avec Adriana Wattel des Photaumnales, dont la ligne éditoriale documentaire s’accompagne aussi chaque année d’une résidence liée à la ville ou au territoire, objet ensuite d’une exposition, d’un ouvrage.
Cette année, ils étaient 52 606 visiteurs à ImageSingulières contre 47 141 en 2012, pour un budget de 250 000 euros et trois semaines d’expositions en mai, 85 000 visiteurs l’an dernier à Vendôme contre 75 000 à Arles dont 11 400 lors de la première semaine, pour un budget de 5,4 millions d’euros et près de trois mois d’expositions. À trop s’être développées, les Rencontres, au-delà de leur travail auprès des scolaires, seraient-elles devenues effectivement un rassemblement pour happy few ?
Pour sa quatrième édition, la biennale organisée par le Musée du quai Branly poursuit son ambition de donner une visibilité à la photographie non occidentale et aux regards inédits ou peu montrés en Europe. À chaque mouture, un directeur artistique différent, manière de renouveler les approches de ce festival en libre accès à l’extérieur du musée, entre quai et jardin. Il lui revient de composer la programmation qu’il souhaite à l’aide de collaborateurs qu’il missionne pour trouver, sans aire géographique impartie, des travaux aboutis. C’est à l’Espagnol Frank Kalero que sera confiée cette tâche pour l’édition 2013, placée sous le fil conducteur de la figure humaine.
Jacques Rocher, fils d’Yves Rocher, créateur de la marque de cosmétique, a fait de son village d’enfance une immense galerie en accès libre, « une utopie portée par une passion pour la photographie et la nature, l’environnement », dit-il. Depuis 2003, le déploiement des images sur le thème « Peuples et nature » à travers rues, sites naturels et ancien garage à ciel ouvert s’est développé en s’inscrivant parfaitement dans le cadre, format de l’image et sujets abordés ne heurtant jamais le regard. Dans le labyrinthe du Végétarium, les images de désert de George Steinmetz et celles d’Éric Bouvet sur le monde utopique recréé par les membres de la « Rainbow family » se fondent au milieu végétal, de la même façon que les grands tirages de Jacques Henri Lartigue sur les murs de schiste ou les vaches d’Ursula Böhmer le long du chemin des Libellules face à un immense pré.
Créé en 2004 par Odile Andrieu, ce festival annuel propose un cheminement à la fois dans la charmante ville de Vendôme et dans les différentes écritures de la photographie aussi bien documentaire que plasticienne. De sites ouverts (parc du château, parvis du manège, gare…) en lieux patrimoniaux (manèges, écuries, château, cour du Cloître…), vingt-sept expositions gratuites se déploient. Parmi elles, l’exposition relative au travail en résidence des photographes invités par l’association des Promenades photographiques de Vendôme à travailler dans la région, avec cette année les portraits de familles de Loir-et-Cher de Peter Knapp. Sans oublier « l’éloquence du quotidien » de Gabor Szilasi et les images de la vie intimes et poétiques d’Amaury da Cunha ou de Christophe Agou, pour ne citer qu’eux.
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Arles envers et contre tous
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Abonnez-vous dès 1 €Les Rencontres d’Arles, jusqu’au 22 septembre 2013. Arles (13). Tous les jours de 10 h à 19 h 30. Tarifs : 31 et 26 € pour toutes les expositions au mois de septembre, 28 et 23 € pour une journée ou entre 2 et 8 € par lieu d’exposition. www.rencontres-arles.com
Photoquai, du 17 septembre au 17 novembre 2013. Paris-7e. Sur le quai Branly en continu et dans le jardin du Musée du quai Branly les mardis, mercredis et dimanches de 11 h à 19 h et les jeudis, vendredis et samedis de 11 h à 21 h. Accès libre. www.photoquai.fr
Festival photo « Peuples et nature » de La Gacilly, jusqu’au 30 septembre 2013. La Gacilly (56). En plein air dans plusieurs sites de la ville. www.festivalphoto-lagacilly.com
Promenades photographiques, jusqu’au 15 septembre 2013. Vendôme (41). Horaires d’ouverture selon les lieux d’exposition. Entrées gratuites. promenadesphotographiques.com
Les Photaumnales, du 14 septembre au 10 novembre 2013, Beauvais (60). Horaires d’ouverture selon les lieux d’exposition. photaumnales.fr
ImageSingulières, Sète (34), chaque année, au printemps. www.imagesingulieres.com
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°660 du 1 septembre 2013, avec le titre suivant : Arles envers et contre tous