Au rez-de-chaussée du logis abbatial, le gisant des Énervés de Jumièges évoque la légende de la fondation de l’abbaye par saint Philibert.
La sculpture de la fin du XIIIe siècle représente deux fils du roi Clovis II allongés côte à côte, métaphore du récit qui débute par leur révolte avortée contre leur père et leur condamnation à avoir le nerf de leurs jarrets tranchés. Placés dans une barque à la dérive sur la Seine, les deux jeunes hommes échouèrent à Jumièges où l’abbé Philibert de Tournus les recueillit. Clovis II, voyant dans leur sauvetage un signe de la Providence, lui offrit les terres et l’argent nécessaire à la construction de l’abbaye. Cette dérive des corps sur l’eau couplée au site de Jumièges a inspiré les dernières vidéos d’Ange Leccia, nées de la carte blanche donnée à l’artiste par le centre d’art de l’abbaye. Les fidèles de l’œuvre retrouveront les traditionnelles images de mer ou de ciels juxtaposées à des regards de jeunes filles aux yeux baissés ou grands ouverts, métaphores oniriques dont le contenu rejoue ce que l’on connaît déjà de l’artiste. La charge poétique, génératrice d’émotions que l’on ressent habituellement, fait ici défaut. La bande-son des films, sélection de séquences de tubes des années 1960-1990 en lien avec le temps qui s’écoule et la résurgence de souvenirs, demande d’avoir beaucoup de temps devant soi si l’on veut en comprendre le sens. La mise en dialogue des vidéos avec les sculptures du XIVe conservées sur place, du moins leur présence, apparaît enfin bien bancale.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°727 du 1 octobre 2019, avec le titre suivant : Ange Leccia en sourdine