Le souvenir de la patrie quittée et la découverte du pays d’accueil pèsent sur l’œuvre des artistes exilés.
ALPES-MARITIMES - « Ce sont souvent les choses les plus immédiates que l’on voit le moins », avoue le directeur des musées nationaux Marc Chagall à Nice, Fernand Léger à Biot et Pablo Picasso à Vallauris. En prenant conscience du destin commun à ces trois maîtres, l’exil, Maurice Fréchuret a rassemblé un ensemble d’œuvres d’artistes modernes, victimes de ce qui est un véritable traumatisme. Si le sujet est immense, l’exposition n’a pas de prétention encyclopédique, et se déploie habilement sur les trois lieux. À Nice, elle explore les symptômes de cette blessure à l’âme avec, d’abord, l’évocation du pays que l’on a quitté. Pour Picasso, c’est l’Espagne des taureaux ou de son ami suicidé Casagemas, ou plus contestataire, l’Espagne de Franco. C’est naturellement pour Chagall son village de Vitebsk en Biélorussie et les témoignages d’une culture yiddish chargée de symboles. Chez Kandinsky, le souvenir de la Russie transparaît dans des formes naïves et colorées qui évoquent le folklore paysan. Pour Simon Hantaï, sa Hongrie natale se confond avec sa mère et son tablier aux plis bien apparents, à l’origine des toiles imprégnées de couleurs qu’il froissait puis dépliait.
À Biot, les artistes ne regardent plus derrière eux. Leurs œuvres se renouvellent au contact de leur nouvelle patrie provisoire ou définitive. New York est le refuge de nombreux artistes fuyant les nazis, comme en témoigne une photographie de George Platt Lynes prise à la galerie Matisse. Ébloui par les néons de Times Square, Fernand Léger commence à dissocier les couleurs des formes. La vie trépidante new-yorkaise électrise l’austère Mondrian. Le célébrissime Broadway Boogie Woogie n’a pas pu franchir l’Atlantique ; en lieu et place deux compositions bizarrement antérieures à son exil aux États-Unis. Mais le Nouveau Monde peut aussi être une recherche intérieure indépendante d’un déracinement géographique. À Hanovre, en Norvège à partir de 1937, ou en Angleterre après 1947, Kurt Schwitters reconstruit son Merzbau, une installation à vivre faite d’objets de récupération, œuvre d’art totale symbolisant une société nouvelle. Le Musée Fernand Léger en accueille une reconstruction de Peter Bissegger à partir de photos de 1933. Enfin la chapelle romane du château de Vallauris, ornée de La Guerre et La Paix de Picasso, abrite 3451 larmes de béton en suspension, qui sont autant de kilomètres douloureux parcourus par les survivants arméniens en 1915 entre Erevan et Paris. Concrete Tears est une œuvre riche de sens de Melik Ohanian, comme la plupart des pièces exposées, assemblées selon une logique qui en manque parfois un peu.
- Commissaires : Maurice Fréchuret, directeur des trois musées et Laurence Bertrand Dorléac, historienne de l’art
- Nombre d’œuvres : 98
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Ancien et nouveau monde
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 8 octobre, Musées nationaux du XXe siècle des Alpes-Maritimes (Nice, Biot et Vallauris), www.musees-nationaux-alpesmaritimes.fr, tlj sauf le mardi, 10h-18h. Catalogue RMN, Â176 p., 35 euros, ISBN 978-2-7118-5977-1
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°374 du 7 septembre 2012, avec le titre suivant : Ancien et nouveau monde