Le Musée d’art et d’histoire du judaïsme consacre une étonnante exposition à la figure du Golem, mythe juif qui a considérablement influencé les cultures populaires, du roman au film fantastique, en passant par les superhéros.
1 - Une créature née des hommes
Dans la religion chrétienne, Dieu a créé l’homme à son image en le façonnant de la terre et en lui insufflant la vie par le nez. Dans la mythologie grecque, c’est Prométhée qui modèle l’homme dans la terre. Dans la mystique juive, Adam, le premier homme, est animé à l’aide de lettres sacrées. Golem signifie d’ailleurs « masse informe ». Le Golem se développe surtout à l’époque médiévale sous l’effet de la kabbale juive et de croyances magiques. Mais c’est vers 1580 qu’il aurait pris vie, sous le nom de Josef. Rabbi Yehudah Loew, Maharal de la communauté juive de Prague, décida en effet de protéger ses ouailles des persécutions systématiques en formant à son tour une créature issue de la terre. Cuite, la matière se retrouva animée par le pouvoir des mots : Emeth, « vérité » en hébreu, aurait été tracé sur le front de cette création humanoïde, à moins qu’il ne s’agisse de paroles divines tirées du Sefer Yetsirah (Livre de la création) reproduites sur un parchemin et glissées dans sa bouche. Si les versions divergent sur ce qui l’anima, sa neutralisation est, en revanche, plus précise : Loew n’aurait eu qu’à effacer l’aleph (première lettre du mot Emeth) pour qu’il se transforme en Meth, la mort.
2 - Un superhéros
Le Golem est apparu pour protéger le peuple juif et sa légende prend un nouveau souffle pendant la Première Guerre mondiale, période de grande instabilité. Mais c’est résolument sous les crayons de Jerry Siegel et Joe Shuster qu’il subit sa mutation la plus importante. Le Golem inspire les superhéros, et notamment Superman, le premier d’entre eux, créé par le duo en 1938, à un moment où les persécutions s’accentuent encore un peu plus en Europe contre la communauté. Les dessinateurs ont puisé dans le substrat de légendes juives qui a nourri l’imaginaire de leur enfance. Le Golem renoue alors avec sa condition magique et fantastique, une vision plus positive que celle du monstre, construite au cinéma et irriguée par l’influence du Frankenstein de Mary Shelley. Mais il n’aura pas sauvé les juifs de l’Holocauste. Viendront des versions héroïques plus contrastées comme le personnage d’Hulk dont le tempérament, plus instable, rappelle celui du Golem destructeur. Et enfin, La Chose, issue des aventures des Quatre Fantastiques à partir de 1961, une créature d’une force inouïe née de la terre qui l’englobe. La Chose est-elle un personnage ? Quels sont ses sentiments ? Devant elle, les questions se bousculent comme devant le Golem.
3 - Un monstre imprévisible
Pourquoi avoir supprimé ce Golem, né pour protéger la communauté juive de Prague (l’une des plus importantes en Europe), en proie à l’oppression ? C’est que la créature magique, bénéfique dans les premiers temps de son existence en raison de sa force colossale, a vite dépassé les expectatives de ses créateurs. Le Golem commença à devenir une menace pour l’ordre public, car en plus de s’en prendre aux « gentils » (ainsi que l’on nommait les non-juifs), il s’attaqua à des innocents. La neutralisation du Golem fut négociée par le rabbin auprès de l’empereur Rodolphe II qui accorda de mettre fin aux persécutions envers les juifs. Ainsi, de créature merveilleuse vengeresse et protectrice du peuple juif, le Golem s’était mû en monstre. Cette versatilité a nourri un imaginaire du Golem particulièrement riche. Cette créature pouvait-elle ressentir ? Éprouver des sentiments ? Si non comment expliquer ce revirement de situation ? Le Golem avait-il sa place dans la société comme n’importe quel autre homme alors qu’il n’avait pas d’âme ? Sa nature artificielle, son origine humaine fut largement discutée et son imprévi-sibilité fut parfois interprétée comme la punition de l’orgueil des hommes pour avoir voulu imiter les dieux.
4 - Un thème d’actualité : le cyborg / posthumain
Le Golem, en tant que créature purement artificielle, a inspiré le cyborg dès les années 1920 avec la créature imaginée par Fritz Lang pour Metropolis (1927) jusqu’au Terminator de James Cameron en 1984. À l’heure du trans ou du posthumanisme, la figure du Golem semble constituer une référence absolue même s’il se voit remplacé par un robot. En 2016, des universitaires se sont justement réunis à Paris pour parler d’une version française de l’homme augmenté tandis que des avatars humains de plus en plus réalistes pullulent dans les labos scientifiques. Mais c’est aussi le monde du jeu vidéo qui s’est approprié la légende et son drôle de héros pour en faire un de ses personnages. Étonnamment, dans les années 1960, le premier supercalculateur israélien est baptisé Golem, alors que la légende disait de la créature qu’elle était dépourvue d’intelligence. Faut-il voir ici une métaphore pour cette aide technique douée de facultés extraordinaires mais sans pouvoir de raison ? Pour l’inventeur de la machine, il s’agit plutôt d’une analogie entre le système binaire informatique et l’origine lettrique du Golem.
5 - Une iconographie tardive
L’iconographie du Golem apparaît très tardivement, conformément à l’aniconisme de la religion juive. Ainsi, c’est sous le trait d’Hugo Steiner-Prag, que le Golem s’incarne une première fois pour illustrer la version romanesque de la légende écrite par Gustav Meyrink publié à Leipzig en 1915. Le Golem y prend des traits forcément étranges, des yeux en amande, un crâne nu, un visage presque reptilien. Puis c’est au cinéma que le Golem s’anime, une parfaite histoire d’un géant muet, dénué d’intelligence que l’acteur Paul Wegener incarne pour Carl Boese en 1920. Géante, la créature de glaise ressemble à une version monumentale de ces guerriers de terre du tombeau de Qin Shi Huang en Chine. C’est son aspect que reprendra le dessinateur des Simpsons dans un épisode où le Golem découvre sa voie. Les souvenirs de terre cuite vendus à Prague le figurent comme un géant massif primaire ainsi que l’a peint Miloslav Dvorák en 1951. Pour Niki de Saint Phalle, c’est une tête hirsute, effrayante, de même pour Christian Boltanski. La créature est aussi un monstre sous le pinceau de Gérard Garouste, une figure ambiguë. L’exposition du Musée d’art et d’histoire du judaïsme fait aussi découvrir des versions plus abstraites comme ce rocher facetté en acier rouillé, sorte de Golem inanimé étonnamment touchant autant que puissant.
6 - Superstition ou croyance ?
L’ancien ghetto de Prague, et plus particulièrement la synagogue Vieille-Nouvelle, constitue l’épicentre du phénomène du Golem. En effet, les combles, accessibles par une porte placée tout en haut de l’édifice et seulement atteignable après avoir grimpé périlleusement une série de marches de métal fichées dans le mur, recèleraient la dépouille du Golem, du moins des traces. Selon que l’on croit au Golem, en ses pouvoirs protecteurs, ou que l’on craigne ses errements, la perception oscille entre le bien et le mal. Et ce qui participe à entretenir ce mythe que les soubresauts de l’histoire contribuent à raviver, c’est que la communauté religieuse de Prague restreint fortement l’accès au grenier à la communauté scientifique. Des chercheurs tchèques ont bien obtenu le sésame au début des années 1980, mais leurs analyses n’ont rien révélé de concluant. La légende continue de résister à la raison, les mythes sont tenaces
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6 clés pour comprendre le golem
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 16 juillet 2017. Musée d’art et d’histoire du judaïsme, hôtel de Saint-Aignan, 71, rue du Temple, Paris-3e. Ouvert en semaine de 11 h à 18 h, jusqu’à 21 h le mercredi, et le week-end de 10 h à 19 h. Fermé le lundi. Tarifs : 10 et 5 €. Commissaires : Ada Ackerman et Paul Salmona. www.mahj.org
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°701 du 1 mai 2017, avec le titre suivant : 6 clés pour comprendre le golem