Art moderne

6 clés pour comprendre la peinture danoise

Par Dominique Vergnon · L'ŒIL

Le 23 septembre 2020 - 1062 mots

Poursuivant son cycle sur l’art nordique, le Petit Palais rend compte dans une magnifique exposition réunissant plus de deux cents œuvres de la richesse et de la diversité de la peinture danoise au XIXe siècle. Quelques clés avant de la visiter.

1. Eckersberg, un rôle fondateur

Ayant en mémoire les leçons de David et la lumière dorant les monuments romains, Christoffer Eckersberg revient au Danemark en 1816. Il y promeut un réveil artistique qui traverse presque le siècle. « Sa technique et son œil pour la composition » lui valent le poste de professeur à l’Académie royale de Copenhague qu’il réforme et où, pendant trente ans, il enseigne aux jeunes artistes les lois de la perspective et les règles du portrait. Peintre d’histoire, Eckersberg exécute également de nombreuses vues urbaines et des marines. Il apprécie aussi les sujets qui donnent à son œuvre une dimension humoristique et un ton plus populaire. Ainsi de cette petite scène de rue traitée avec brio. Avançant courbée contre le vent et la pluie, une femme bouscule un couple marchant en sens contraire. Jouant des contrastes de couleurs, le pinceau fait ressortir les plis des jupes, la régularité des pavés et l’osier du panier. Autour de 1830, les tableaux satiriques moquant les citadins et la politique sont en vogue.

2. Le détail et l’horizon chez Rørbye

Entré à 17 ans à l’Académie, proche d’Eckersberg, Martinus Rørbye se révèle aussi brillant dans les scènes de genre que dans les paysages et les portraits. Peindre l’intimité est pour lui un prétexte pour la dépasser et inviter le regard à voir au-delà du premier plan. Avec une extrême minutie, son pinceau s’arrête sur les nervures des feuilles, l’oiseau dans la cage, la dentelle des rideaux, le poli du gobelet en étain. Il ouvre en même temps la croisée et peint au second plan les gréements des navires amarrés dans le port, rappelant ainsi la vocation maritime du Danemark. Faisant partie des artistes danois qui firent le Grand Tour, Rørbye se rend à Rome puis poursuit en 1835 vers la Grèce et la Turquie. Pionnier à cet égard, il voyage à plusieurs reprises jusqu’à l’extrémité du Jutland pour saisir les jeux de la lumière plus froide et oblique sous cette latitude, un demi-siècle avant les peintres de Skagen qui formeront dès 1870 une communauté active et originale évoquant les peintres de Barbizon.

3. Nature et savoir chez Skovgaard

Pour Eckersberg, il n’y a pas de petit sujet et le peintre est libre de ses choix. Sortir de l’atelier et peindre sur le motif est un bon moyen pour découvrir l’harmonie et la cohérence des réalités naturelles et de traiter la lumière singulière de la Fionie voisine ou des lointains rivages du Nord. Formé à ce regard, Peter Skovgaard s’impose comme un excellent peintre de paysages. Dans cette vue campagnarde, adoptant un cadrage serré, il use d’une touche minutieuse pour reproduire la variété des graminées agitées par le vent et la coloration des feuillages en arrière-plan, soulignant jusqu’aux textures de la flore. Par la suite, dans une veine plus romantique, il peint des forêts dont il idéalise la beauté. Se réunissant chez le botaniste Joakim Schouw, les peintres s’intéressent non seulement à la botanique et à la géologie, mais abordent aussi d’autres thèmes en lien avec l’architecture, la musique ou la littérature honorée par Andersen, participant de ce fait au rayonnement culturel danois en Europe.

4. Christen Købke : la fierté d’une nation

L’eau est à peine ridée, le ciel d’une clarté diaphane occupe les trois quarts de la toile et la baigne de silence. La lumière du soir émane de l’intérieur même des éléments. Deux femmes attendent l’embarcation. Le spectateur est devant une Arcadie nordique. La composition est parfaite, à dessein théâtralisée. Derrière la simplicité apparente du sujet, une page majeure de l’histoire du pays est évoquée. Le Dannebrog, le drapeau officiel danois, flotte juste au milieu du tableau. Il symbolise la volonté de tout un peuple de sauvegarder son identité en dépit des désastres historiques qui, du bombardement de Copenhague en 1807 par les Anglais à la guerre du Schleswig de 1864 contre la Prusse, encadrent ces décennies créatrices. Considéré comme un des meilleurs peintres de sa génération, Christen Købke s’attache ici à traiter le thème sensible de l’unité danoise. Attentif à son proche environnement, il est aussi l’auteur d’une vue monumentale du château royal de Frederiksborg peint au couchant.

5. Constantin Hansen, l’intimité au plus près

En dépit des inégalités sociales, la famille danoise bénéficiant d’une prospérité croissante est à la fois un socle social privé empreint de valeurs et un lieu de rencontre des acteurs du renouveau intellectuel national. Pour décorer les intérieurs, il faut des tableaux de petite taille adaptés aux dimensions réduites des maisons. Le portrait, notamment des enfants, est un genre qui sied aux convenances de l’époque. Autre élève d’Eckersberg, Constantin Hansen, qui est également graveur et qui a exécuté de nombreux portraits d’adultes, s’attache à la mise en valeur des signes discrets d’une bourgeoisie qui choie sa progéniture. Pour ajouter à l’aura de la petite Elise, on dirait que le pinceau émaille aussi bien les joues que la tasse. Calme et naturelle, à la mise soignée, la fillette dévisage le spectateur droit dans les yeux. Œuvres du temps de la sérénité, ces tableaux gardent une certaine nostalgie qui n’aura bientôt plus les faveurs des collectionneurs, tournés vers la modernité qui s’annonce.

6. Le corps-sujet et l’artiste-médiateur : Wilhelm Bendz

Tenant de la pédagogie, soucieux de rénover les pratiques académiques et de rapprocher le maître des élèves, Eckersberg estime que le dessin d’après modèle vivant constitue une étape capitale de leur formation. Dans l’atelier, nouvel espace de liberté et lieu idéal « pour penser l’essence de l’art », les élèves sont assis en demi-cercle autour de la sellette où le modèle nu prend la pose qui servira ensuite pour des tableaux d’histoire ou mythologiques, longtemps prisés avant d’être supplantés par les paysages. Mort jeune, Wilhelm Bendz s’est représenté en bas à gauche, tourné vers le regardeur, comme pour l’inviter à entrer. Évoquer l’artiste au travail constitue un thème récurrent à l’époque. Sur une autre toile savamment construite, Bendz montre le sculpteur Christen Christensen devant un soldat qui, ayant quitté la veste rouge de son uniforme, prend la pose à la manière d’un lutteur antique, suivant les indications du statuaire. L’artiste apparaît comme le vrai médiateur entre art et réalité.

« L’âge d’or de la peinture danoise, 1801-1864 »,
du 22 septembre 2020 au 3 janvier 2021. Petit Palais, Musée des beaux-arts de la Ville de Paris, avenue Winston-Churchill, Paris-8e. Du mardi au dimanche de 10 h à 18 h, nocturnes les vendredis jusqu’à 21 h. Tarifs : 13 et 11 euros. Commissaires : Christophe Leribault et Servane Dargnies- de Vitry. www.petitpalais.paris.fr

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°737 du 1 octobre 2020, avec le titre suivant : 6 clés pour comprendre la peinture danoise

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