5 clefs pour comprendre la fenêtre dans l’art

Par Bénédicte Ramade · L'ŒIL

Le 21 janvier 2013 - 1084 mots

Après Lugano, l’exposition consacrée à la fenêtre et à son rôle structurant comme symbolique dans l’art de la Renaissance à nos jours s’installe à la Fondation de l’Hermitage à Lausanne et écrit en quelque cent cinquante œuvres une histoire de visions.

1. Chez di Credi, pas de paysage sans fenêtre

Il y a un mystère dans ce portrait d’apparence simple : qui est la jeune femme peinte sans artifice par di Credi, artiste formé dans l’atelier de Verrocchio et influencé par Léonard de Vinci qui s’y trouvait au même moment ? Car les spéculations vont bon train, et certains historiens affirment qu’il s’agirait même de la Joconde dans sa jeunesse tandis que d’autres y reconnaissent Caterina Sforza, une régente surnommée « la tigresse » qui tint tête à César Borgia. La fenêtre – ou plus exactement la loggia comme l’imposa la nouvelle mode florentine à partir de 1475 – fabrique un paysage. On y trouve des indices de lieux toutefois imprécis. Certains ont voulu y voir la forteresse de Forlì, propriété de la Sforza, mais sans certitude formelle. « Pour qu’il y ait paysage, il faut qu’il y ait mise à distance. La fenêtre est l’instrument de cette mise à distance », écrit le penseur Gérard Wajcman. Ici, la fenêtre ouvre et protège à la fois, isolant le modèle entre deux parapets et une tenture incarnate ; elle se fait espace de monstration et de retrait. Une dualité qui renforce le mystère de ce panneau.

2. Chez Duclaux, la fenêtre introspective

Pensive, la belle-sœur de l’Empereur embrasse de son regard la vallée d’Aix-les-Bains et le lac du Bourget depuis une tonnelle abritée dépendant de la villa Chevalley. La pose dissimule le regard tout en intensifiant l’introspection du sujet, l’objet de sa contemplation étant autant intérieur que paysager. Bien avant la mélancolique Femme à la fenêtre du romantique allemand Caspar David Friedrich peinte en 1822, le jeune Antoine Duclaux perçoit le potentiel introspectif du motif de la fenêtre. Le belvédère où s’est installée la jeune femme est un modeste abri qui la protège du monde extérieur et des tourments de son mariage. Très attachée à la ville où elle se rend chaque année pour profiter des bains, elle contribue l’année même de la réalisation de ce portrait à la création de l’hôpital. C’est bien une femme et non plus une reine que Duclaux a peinte dans son refuge privilégié, pas étonnant dès lors que le portrait délaisse l’apparat et la figuration du modèle, se détourne du visage.

3. Chez Mondrian, le chemin de l’abstraction

C’est en observant les immeubles dans les rues de Paris que Mondrian a mis au point cette composition. Les traces laissées par des bâtisses détruites sur des façades aveugles lui ont inspiré ce réseau de lignes de force noires et d’empreintes de bleus délavés dominées par la rigueur géométrique. Ce sont peut-être des fenêtres, certainement des encadrements. La surface de toile brute s’anime encore des coups de pinceau et laisse libre une touche vive et mobile, irrégulière presque par endroits. Cette façade bleue est mouvante, à l’image de la série synthétique à laquelle elle appartient, tout entière nourrie par l’architecture. Mondrian habite Paris depuis seulement deux années pendant lesquelles les innovations cubistes de Braque et Picasso l’influencent fortement. Cette composition en est le témoin tout en annonçant le motif de la grille. Elle fait ici ses gammes, encore imparfaite, trop ancrée au réel, portée par ces bleus qui finiront par disparaître de la palette du peintre.

4. Chez Magritte, une ouverture sur le psychisme

Motif récurrent chez Magritte – l’exposition de Lausanne rassemble aussi La Clef des songes (1930), La Maison (1947), L’Agent secret (1959) –, la fenêtre se démultiplie dans ce tableau par un jeu d’emboîtements, de tautologies et de faux-semblants dont le titre renvoie au philosophe Hegel. Un royaume des apparences qui contredit avec systématisme toute idée de représentation du réel. Souvent Magritte se plaît à casser les vitres. Ici, la fenêtre ouvre sur une réplique miniature de la maison qui la contient, mais toutes les fenêtres en sont fermées, ponctuant une façade mutique et bourgeoise. Le regard se livre alors à un jeu des sept erreurs, s’accrochant à cette réalité pour ne pas succomber trop vite au mystère de ce redoublement qui confine à l’enfermement. Les deux maisons diffèrent. Magritte a d’ailleurs peint trois versions d’Éloge de la dialectique et répété le principe de la « maison dans la maison » pour La Chambre de madame Sundheim (1960). L’architecture y fonctionne comme une métaphore de la construction psychique.

5. Chez Plossu, chambre avec vue

Si la conception du tableau comme fenêtre est née sous la plume d’Alberti dans son De pictura de 1435, la photographie est intrinsèquement une fenêtre sur le monde si l’on veut simplement considérer l’appareil qui la crée. La fenêtre du boîtier photographique, en s’ouvrant, fabrique un monde. « Pour penser le monde, il faut une fenêtre », écrit Gérard Wajcman dans son ode à la fenêtre. Bernard Plossu, insatiable voyageur, a posé son regard sur Marseille de nombreuses fois, tout comme il aime jouer avec les ombres et les rideaux des fenêtres dans nombre de ses photographies. Ici, les vitres reflètent les hors-champs comme un appel au départ, vision quasiment panoptique d’un paysage marin. C’est Marseille, mais comment le saurait-on ? C’est ce que Plossu appelle un « paysage intermédiaire » (catégorie qu’il emprunte à Michel Butor). Il offre une chambre avec vue sur cette impression de voyage, le mouvement lent du paquebot. C’est le cadre idéal pour débuter une narration, une invitation que nous offre ce regard par la fenêtre.

Autour de l’exposition

Informations pratiques. « Fenêtres, de la Renaissance à nos jours. Dürer, Monet, Magritte... », du 25 janvier au 20 mai 2013. Fondation de l’Hermitage à Lausanne. Ouvert du mardi au dimanche de 10 h à 18 h. Nocturne le jeudi jusqu’à 21 h. Tarifs : 15 et 6 €.

www.fondation-hermitage.ch

L’exposition. Avec « Fenêtres... », la Fondation de l’Hermitage propose de découvrir un thème iconographique qui traverse neuf siècles d’histoire de l’art. Elle réunit cent cinquante œuvres réalisées sur de multiples supports, peinture, gravure, photographie et vidéo. Dans la création de Dürer, Monet, Bonnard, Matisse, Duchamp et dans celle plus récente de Balthus et de Richter, le motif de la fenêtre n’a cessé d’être utilisé et réinterprété. D’un simple point de perspective qui guide le regard à la Renaissance, elle devient un sujet de représentation à part entière et un élément prompt à brouiller les limites et les espaces de l’œuvre.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°654 du 1 février 2013, avec le titre suivant : 5 clefs pour comprendre la fenêtre dans l’art

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