Le Musée Carnavalet met en lumière l’ambivalence de cette année post-Révolution, une période complexe qui, en restreignant les libertés de chacun au nom de l’idéal de liberté, fait émerger une conscience culturelle et patrimoniale pour le bien commun.
Lorsque l’on pense « idéal révolutionnaire », une année s’impose : 1789, celle de la prise de la Bastille et de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Loin de cette glorieuse image de révolte populaire, l’année 1793-1794 – l’an II – apparaît bien plus sombre. Moment de bascule, la période marque le retournement de la Révolution contre ses propres principes. Violences extrêmes, répressions sanglantes, règne d’une peur constante… L’image d’un épisode de folie meurtrière lui colle à la peau à tel point qu’elle est aujourd’hui plus connue sous le nom évocateur de « Terreur », terme fabriqué après coup par les opposants du régime pour le condamner politiquement. Le Musée Carnavalet entreprend d’éclaircir cette période trouble de l’histoire qui, bien qu’indubitablement oppressive, a aussi été source d’espoir et de transformation. Si ces grandes mutations touchent toute la France, Paris en est sans conteste l’épicentre. Lorsque la royauté est abolie le 21 septembre 1792, la République n’est pas tout de suite proclamée. Elle se construit progressivement sous l’autorité de la Convention nationale qui prend ses quartiers aux Tuileries. Le nouveau régime bouleverse en profondeur le quotidien des Parisiens, que ce soit dans leur manière de se vêtir, de compter, de nommer les jours de la semaine et les mois… Une culture républicaine se forge lors de grandes fêtes et banquets communs, et se renforce dans la profusion d’affiches et d’effigies en l’honneur des martyrs de la liberté. Pour façonner cet esprit d’unité, les arts jouent un rôle primordial. Symboles républicains, allégories politiques et portraits des « grands hommes » n’ont alors de cesse de se multiplier.
En parallèle cependant, la population souffre d’une pénurie alimentaire et d’une surveillance policière permanente, conséquences de la guerre civile dans laquelle le pays est plongé depuis plus d’un an. La situation ne fait qu’empirer : au printemps 1793, le camp politique des Montagnards, plus radical, évince celui des Girondins. Avec le député Maximilien Robespierre comme figure de proue, la République s’engage alors dans une dynamique plus répressive : la loi ordinaire s’efface au profit de mesures d’exception, prises au nom d’un ordre public plus juste. Les prisons ne désemplissent pas, et un prévenu sur deux passe sous la lame de la guillotine.Cette année de crise apporte toutefois son lot d’avancées : l’école primaire est rendue publique, gratuite et obligatoire, l’esclavage est aboli et l’assistance publique devient un droit pour tous. Plein de contradictions, l’an II l’est jusque dans son rapport au patrimoine. Faut-il détruire pour tout reconstruire ? Préserver pour laisser une trace ? En rejet de l’Ancien Régime, un grand nombre de biens culturels sont démolis et pillés. Les signes de la royauté et de la religion disparaissent peu à peu, alors que s’impose l’image du « vandale » qui détruit tout par ignorance ou fanatisme. En réalité, beaucoup d’œuvres vont plutôt être mutilées, transformées, démontées, voire déposées, et protégées. Paradoxalement, cette période signe aussi l’émergence d’une conscience patrimoniale.
Avant d’être le peintre attitré de Napoléon, Jacques-Louis David (1748-1825) fut d’abord un révolutionnaire passionné. Ami de Robespierre et député à la Convention, il s’engage pour la République aussi bien sur le plan politique qu’artistique. Ce tableau, chef-d’œuvre de l’histoire de l’art, représente l’assassinat d’un de ses proches, le député Jean-Paul Marat, érigé en martyr. Par sa force expressive, l’œuvre émeut et révolte. D’où son accrochage à un emplacement de choix, bien visible derrière le président de l’Assemblée.
Qui dit Révolution, dit rejet des symboles de l’Ancien Régime. Et la basilique de Saint-Denis fait partie des victimes. Pour commémorer la chute de la monarchie, la Convention ordonne la profanation des mausolées royaux abrités dans la basilique. Si certains tombeaux furent protégés en intégrant le dépôt d’Alexandre Lenoir, la plupart furent démolis et fondus pour faire des boulets et des canons. Mais sous le pinceau d’Hubert Robert, cette scène sacrilège se transformerait presque en moment hors du temps, empreint de poésie.
Signe de reconnaissance sociale, le vêtement se fait politique. Dès le début de la Révolution, les Républicains les plus ardents prennent le nom de « sans-culottes ». En portant le pantalon plutôt que la culotte, ils expriment ouvertement leur rejet de la noblesse et de ses privilèges. Une tenue généralement complétée d’un gilet ou d’une carmagnole, courte veste de laine et de chanvre qui tire son nom d’un chant révolutionnaire. Pour parfaire le tout, ils portent la fameuse cocarde tricolore, aux couleurs de la République.
Dans sa volonté de transformer les mœurs et les mentalités, la République va même jusqu’à réformer le rapport au temps. Plus de calendrier chrétien : désormais, l’année se découpe en douze mois renommés selon le rythme des saisons. Chacun est divisé en trois décades, elles-mêmes composées de dix jours. Et chaque jour de l’année est associé à un nom de fleur, d’arbre, d’animal, d’outil agricole… Le 28 septembre, par exemple, devient le jour de la carotte !
Révolution politique, mais aussi révolution du quotidien. Pour renforcer l’unité nationale, la République bouleverse les repères des Français en instaurant un seul et unique système de poids et de mesures. Les monnaies n’y font pas exception : la livre est remplacée par le franc, qui se divise en décimes et centimes pour simplifier les calculs. Ces nouvelles pièces véhiculent alors les valeurs républicaines en arborant des allégories à la place de l’effigie du roi.
Dans un quotidien marqué par la guerre et la privation, le divertissement trouve malgré tout sa place. Comédies, tours de physique, lanterne magique, théâtres d’ombres… Les spectacles animent aussi bien les cabarets que les rues, les places publiques et les marchés. À l’envie de susciter le rire, s’ajoute souvent une volonté d’informer. Alors que la population doit s’adapter à de multiples changements, ces marionnettes mettent en scène les nouvelles figures de la nation, comme le soldat ou l’officier.
Symbole glaçant de la violence révolutionnaire, la guillotine incarne les excès du nouveau régime. Pourtant, la machine est d’abord saluée comme une manière de tuer plus humaine, qui met tous les individus sur un pied d’égalité devant la mort et qui évite les souffrances inutiles en tranchant les têtes d’un coup net grâce à sa lame en biseau. L’exécution à la guillotine, souvent organisée le même jour que le jugement, devient un spectacle public destiné à susciter la crainte et à dissuader les opposants.
Sous la Révolution, la condition des femmes oscille entre reculs et avancées. En 1793, la République les exclut des armées, remet en question leur droit de porter la cocarde tricolore et interdit même les clubs féminins. Elles peuvent en revanche devenir artistes. Ce tableau, commandé à la peintre Jeanne-Louise Vallain (1767-1815), incarne l’idéal féminin de la liberté, enfin délivrée de ses chaînes. Une promesse d’égalité brandie par un régime qui, pourtant, efface délibérément les femmes de la vie politique.
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1793-1794 : les paradoxes d’une révolution
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°781 du 1 décembre 2024, avec le titre suivant : 1793-1794 : les paradoxes d’une révolution