En 2025, la France se pare des couleurs du Brésil. Pour la prochaine Saison croisée France-Brésil, la rédaction de L’Œil opère un focus sur douze artistes brésiliens invités à exposer dans l’Hexagone. Un panorama pluridisciplinaire et engagé.
Vingt ans après l’année « Brésil, Brésils » en 2005, la nouvelle saison du Brésil en France célèbre les échanges culturels avec ce grand pays du continent sud-américain. En deux temps : d’abord un volet brésilien en France d’avril à septembre, qui a été précédé d’un prélude dès janvier, puis un chapitre français au Brésil, d’août à décembre. Trois thématiques officielles servent de fil conducteur à cette programmation croisée : le climat et la transition écologique, la diversité des sociétés ainsi que le dialogue avec l’Afrique, enfin la démocratie et la mondialisation équitable. Douze artistes exposés dans le cadre de cette saison brésilienne en France et au-delà (?) ont retenu notre attention. Marquées par l’exil ou l’engagement écologique, naïves ou savantes, féministes, héritières de pratiques ancestrales africaines ou témoins des avant-gardes, joyeuses ou intranquilles, politiques, poétiques, leurs œuvres (peintures, sculptures, vidéos, installations…) sont autant de facettes d’une riche culture à découvrir d’urgence.
Œuvres participatives. - Le Brésilien Mauricio Dias (né en 1964) et le Suisse Walter Riedweg (né en 1955) se sont associés en 1993 pour créer des œuvres d’art interactives. Dias a étudié les arts plastiques à Rio de Janeiro et à Bâle, tandis que Riedweg a étudié le théâtre et la musique, notamment à Lucerne et New York. Ils vivent à Rio de Janeiro. Leur binôme s’intéresse aux marges du monde capitaliste et développe une œuvre ouverte qui évite les jugements normatifs, leur objectif étant de refléter l’altérité de façon poétique. Pour chacun de leur projet se met en place un dispositif spécifique, impliquant directement les protagonistes dans un processus d’échange et de création. Le public est également invité à participer, comme dans leur installation vidéo Sugar Seekers (2004) – réflexion sur les relations entre l’économie mondiale et la politique locale –, qui permet au visiteur, grâce à une commande tactile, d’interagir et d’ajouter des interprétations. Déjà à l’affiche du Festival d’Automne, à Paris, en 2005, leur travail a été montré dans de nombreuses biennales internationales.
« Mauricio Dias & Walter Riedweg », Théâtre de la Concorde, 1, avenue Gabriel, Paris-8e, dates non définies, www.theatredelaconcorde.paris
Représentés par la galerie Bendana Pinel Art contemporain (Paris), www.bendana-pinel.com
Art naïf. - Artiste autodidacte, José Antônio da Silva (1909-1996) ne faisait pas de distinction entre ses différents modes d’expression : cet ouvrier agricole était à la fois peintre, sculpteur, écrivain, conteur et guitariste. Toute son œuvre témoigne de la transition d’une société rurale vers une urbanisation rapide. Exposé pour la première fois à la fin des années 1940 lors de l’inauguration d’une Maison de la culture locale, Da Silva est alors découvert par la critique de son pays. Entre 1951 et 1987, il participe à plusieurs reprises à la Biennale de São Paulo, et ses œuvres, marquées par une technique pointilliste, intègrent des collections publiques. Le Musée de Grenoble lui consacre sa première exposition monographique en France, réunissant plusieurs tableaux de paysages, qui décrivent avec une touche vive, dans une palette colorée et un style naïf, les plantations de coton et de café, le pâturage du bétail, ainsi que les bals de village.
« José Antônio da Silva : Pintar o Brasil (1909-1996) », Musée de Grenoble, 5, place de Lavalette, Grenoble (38), du 12 avril au 6 juillet, www.museedegrenoble.fr
Représenté par la galerie Cecilia Brunson Projects (Londres), www.ceciliabrunsonprojects.com
D’avant-garde et d’argile. - En 2024, la 60e Biennale de Venise a décerné un Lion d’or à Anna Maria Maiolino (née en 1942) pour l’ensemble de sa carrière de sculptrice, dessinatrice, vidéaste et poète. Artiste brésilienne d’origine italienne que l’on a redécouverte tardivement, Anna Maria Maiolino prend part, dès les années 1960, à divers événements et expositions du mouvement brésilien néo-concret, aux côtés d’Hélio Oiticica et de Lygia Clark, dont elle est restée proche. Elle vit ensuite à New York où elle s’imprègne de l’art minimal et conceptuel. Ses différents exils se retrouvent dans la versatilité d’un travail très riche (dessin, sculptures de papier, performances filmées, photo-poème-action) qui s’est aussi nourri de son environnement social et politique, de ses convictions féministes et de tout ce qui touche à la fabrication sémiotique du sens. C’est de retour à Rio de Janeiro, à la fin des années 1980, qu’elle se met à utiliser l’argile dans des créations à la fois rigoureuses et organiques, en prise avec la vie.
« Ana Maria Maiolino », Musée Picasso, 5, rue de Thorigny, Paris-3e, du 17 juin au 21 septembre, www.museepicassoparis.fr
Représentée par les galeries Raffaella Cortese (Milan), www.raffaellacortese.com, Hauser & Wirth (Zurich, Gstaad, St Moritz, London, Somerset, Los Angeles, New York, Hongkong, Monaco, Ciutadella de Menorca, Paris), www.hauserwirth.com
Art et textile. - Ceux qui ont eu la chance de visiter l’exposition collective du Pavillon du Saint-Siège lors de la dernière Biennale de Venise, au centre de détention pour femmes de la Giudecca (« With My Eyes », 2024) se souviennent sans doute de la pièce maîtresse de Sonia Gomes (née en 1948) qui y était suspendue, une sculpture textile toute en contorsions de tissus et de lacets colorés. Les autres pourront découvrir l’été prochain dans le Pavillon de verre du Louvre-Lens cette œuvre de l’artiste identifiée pour son travail mêlant des textiles de seconde main avec des matériaux tels que du bois flotté et du fil de fer, entre traditions afro-brésiliennes et fabrication artisanale. Sonia Gomes a attendu l’âge de 45 ans pour abandonner sa carrière juridique et se consacrer à son art qu’elle qualifie de « noir, féminin et marginal », dans la lignée d’artistes qui « partagent une mémoire collective viscérale ».
« Sonia Gomes », Louvre-Lens, 99, rue Paul-Bert, Lens (62), été 2025, www.louvrelens.fr
Représentée par les galeries Mendes Wood DM (São Paulo, Bruxelles, Paris, New York, Germantown), www.mendeswooddm.com et Pace Gallery (New York, Londres, Hongkong, Séoul, Genève, Los Angeles, Tokyo, Berlin), www.pacegallery.com
Peintures lumineuses. - Né en 1983, à São Paulo, Lucas Arruda a abordé la vieille Europe par son versant nord : d’abord à Londres – où sa première exposition à la galerie David Zwirner a lieu en 2017 –, puis à Lens, où il est invité la même année en résidence par la Pinault Collection. Il y voit la neige pour la première fois ! Deux ans plus tard, le Musée Fridericianum, à Cassel (Allemagne), lui consacre sa première exposition personnelle d’envergure. Placé dès son plus jeune âge dans une crèche artistique, Lucas Arruda a toujours dessiné, avant d’aborder, adolescent, la peinture comme une expérience cathartique. Guidé, dit-il, par la lumière, il peint debout ses tableaux de petits formats, paysages mentaux entre abstraction et figuration. Au Carré d’art, à Nîmes, on peut également découvrir son travail vidéo moins connu, tandis que l’accrochage du Musée d’Orsay fait dialoguer ses toiles avec celles des impressionnistes.
« Lucas Arruda », Musée d’Orsay, esplanade Valéry Giscard d’Estaing, Paris-7e, du 8 avril au 20 juillet, www.musee-orsay.fr
« Lucas Arruda. Deserto Modelo », Carré d’art, place de la Maison Carrée, Nîmes (30), du 30 avril au 5 octobre, www.carreartmusee.com
Représenté par les galeries David Zwirner (New York, Los Angeles, Londres, Paris, Hongkong), www.davidzwirner.com et Mendes Wood DM (São Paulo, Bruxelles, Paris, New York), www.mendeswooddm.com
Sculptures abstraites. - Brutales : c’est l’adjectif qui semble caractériser les sculptures abstraites d’Ivens Machado (1942-2015). Utilisant le fer, le verre brisé, le béton ou le gravier, elles traduisent vraisemblablement par leur esthétique rudimentaire le contexte de dictature militaire dans lequel l’artiste les a conçues. S’il n’y a plus place alors au Brésil pour l’optimisme du modernisme des années 1950, ni pour le formalisme du concrétisme, la précarité même de ces formes laisse cependant affleurer la présence du corps, de sa vulnérabilité et de la violence qui peut le briser. Machado a également produit des performances filmées qui mettent en scène la torture et les conflits raciaux, auxquelles le Carré d’art à Nîmes consacre la première partie du parcours de son exposition. Cette figure de proue de l’art brésilien des années 1970 a créé une œuvre de référence qui reste à découvrir en France.
« Ivens Machado », Carré d’art, place de la Maison Carrée, Nîmes (30), du 30 avril au 5 octobre, www.carreartmusee.com
Représenté par la galerie Fortes D’Aloia & Gabriel (São Paulo, Rio de Janeiro, Lisbonne), www.fdag.com.br
Paysages brésiliens. - Le Frac Auvergne, à Clermont-Ferrand, avait consacré en 2021 une exposition monographique à cette artiste en milieu de carrière devenue ces dernières années une des peintres très regardées de sa génération. On avait pu découvrir à cette occasion ses grandes toiles atmosphériques ainsi que ses tapisseries, que l’artiste dit orchestrer à la façon de compositions musicales. Marina Rheingantz (née en 1983) a grandi dans la région rurale d’Araraquara de l’État de São Paulo, dont les vastes paysages constituent une source d’inspiration pour sa pratique picturale. La peintre conçoit ses toiles à partir de réminiscences, que viennent réveiller des archives et des photographies. Souvent parsemés de nébulosités pointillistes rappelant la trame de ses canevas brodés, ses tableaux, dans lesquels terre et ciel se confondent en se reflétant, ont une qualité rêveuse, flottant à la limite de la représentation, au seuil de l’oubli. Sept de ses œuvres de grand format sont présentées en majesté, tandis que d’autres dialoguent avec la collection permanente du Musée des beaux-arts de Nîmes.
« Marina Rheingantz », Musée des beaux-arts, rue de la Cité Foulc, Nîmes (30), du 30 avril au 5 octobre, www.nimes.fr
Représentée par les galeries Fortes D’Aloia & Gabriel (São Paulo, Rio de Janeiro, Lisbonne), www.fdag.com.br, Bortolami (New York), www.bortolamigallery.com et White Cube (Londres, Séoul, Paris), www.whitecube.com
Défenseur de la nature. - Éternel exilé, Frans Krajcberg (1921-2017) avait trouvé son refuge dans l’art et la nature. Ce juif polonais perdit toute sa famille dans les pogroms nazis avant de rejoindre en Russie les rangs de l’Armée rouge. Formé aux Beaux-Arts de Stuttgart, il acquiert la nationalité brésilienne en 1956, mais c’est à Paris, dans les années 1960, qu’il s’intéresse aux mouvements de défense de l’environnement, dont il devient l’un des pionniers. Sculpteur mondialement connu, écologiste militant, il fut aussi un photographe passionné de la forêt amazonienne, dont la destruction par les incendies le bouleversa. « Mes travaux sont mon manifeste, a-t-il dit. Je cherche des images pour mon cri de révolte. » Présentées dans le cadre d’une exposition collective au Centre d’art Tignous de Montreuil (93), ses œuvres sont également visibles en permanence à l’Espace parisien Frans-Krajcberg, centre d’art contemporain, qui gère son don à la Ville de Paris de plusieurs sculptures monumentales, bas-reliefs, tableaux et photographies emblématiques.
« Ce que le vent apporte », Centre d’art Tignous, 116, rue de Paris, Montreuil (93), jusqu’au 12 avril, www.centretignousdartcontemporain.fr
Espace Frans Krajcberg, 21, avenue du Maine, Paris-15e, www.espacekrajcberg.fr
Les corps noirs. - Du X Museum à Pékin (2022), au Centre d’art contemporain à Genève, qui vient de lui offrir sa première rétrospective de mi-carrière en Europe, en passant par l’ouverture, en 2021, de la Bourse de Commerce – Collection Pinault, qui exposait sept toiles de l’artiste brésilien (né en 1983), l’œuvre d’Antonio Obá (peinture, sculpture, photographie, installation, vidéo, performance) affirme sa portée universelle. Hanté par la menace du racisme et empreint de mystique, il est pourtant nourri par la culture, notamment religieuse, qui l’a bercé, mélange de catholicisme et de rites indigènes. Mais ses grandes toiles, où le corps noir est toujours central, convoquent aussi l’histoire de l’art, en particulier à travers un goût de la parabole qui semble emprunter au symbolisme, quand sa palette aux teintes contrastées évoque celle des peintres baroques. Dans ses premiers travaux, Antonio Obá utilise aussi son propre corps, qu’il presse contre le papier pour y déposer son empreinte, la trace d’une chair souffrante et puissante.
« Antonio Obá. Corps et âmes », Bourse de Commerce, 2, rue de Viarmes, Paris-1er, www.pinaultcollection.com
Représenté par la galerie Mendes Wood DM (São Paulo, Bruxelles, Paris, New York), www.mendeswooddm.com
Installations XXL. - Figure majeure de la scène artistique brésilienne, ce Carioca de 60 ans (né en 1964) réputé pour son sens de la fête a imposé sa « vision biologique » de l’art. Ses installations monumentales en boucles de plastique, gaze de nylon ou crochets de coton se caractérisent par leur plasticité, leur légèreté, leur déploiement dans l’espace, et sont prêtes à être traversées, habitées ou expérimentées par le visiteur. L’œuvre de Neto fait à la fois penser à des structures neuronales en expansion, aux lianes de la jungle amazonienne ou à d’immenses organismes vivants imaginaires. Pour susciter une expérience émotionnelle, l’artiste recourt aussi aux bruits et aux odeurs… Après avoir revisité le mythe d’Adam et Ève avec l’exposition « Le La Serpent » au Bon Marché en début d’année, il s’apprête à déployer ses installations joyeuses et spirituelles au Grand Palais.
« Ernesto Neto. Notre barque tambour terre », Grand Palais, 7, avenue Winston-Churchill, Paris-8e, du 6 juin au 27 juillet, www.grandpalais.fr
Représenté par la galerie Max Hetzler (Berlin, Paris, Londres), www.maxhetzler.com
Le corps à l’épreuve. - Artiste multimédia (vidéo, photo, sculpture, peinture, dessin…), Jonathan de Andrade (né 1982) a représenté le Brésil à la 59e Biennale de Venise, en 2022, avec un ensemble d’œuvres évoquant le morcellement du corps, entre souffrance et aliénation. Le corps, particulièrement masculin, est souvent mis en avant et parfois érotisé dans ses créations, qui véhiculent également un message politique explicite. Ainsi, le titre initial de son exposition au Domaine de Peyrassol, « L’art de ne pas être vorace », renvoie-t-il à la soif inextinguible de pouvoir et de domination. Pour autant, son travail n’est jamais littéral et c’est plutôt la tension née du rapprochement entre les notions de tendresse et de menace, de crainte et de désir, qui le rend si attachant. Comme dans sa vidéo iconique, O Peixe (2016), montrant, dans un rituel fictif, des pêcheurs torse nu réconfortant, en les caressant, des poissons tout juste capturés.
« Jonathas de Andrade, l’art de ne pas être vorace », Domaine de Peyrassol, 1204, chemin de la Commanderie de Peyrassol, Flassans-sur-Issole (83), du 1er avril au 2 novembre,www.peyrassol.com
Représenté par la Galleria Continua (San Gimignano, Pékin, Les Moulins, La Havane, Rome, São Paulo, Paris), www.galleriacontinua.com
Vidéo en duo. - Depuis ses débuts, la pratique photographique de Barbara Wagner (née en 1980) est centrée sur son observation de la culture de masse. Son approche documentaire brouille les frontières entre fiction et réalité, puisque ses images, travaillées en studio, naissent de ses investigations sur le terrain, dans la rue. Depuis 2011, elle travaille en collaboration avec l’artiste Benjamin de Burca (né à Munich, en 1975) avec lequel elle a participé à la 58e Biennale de Venise en 2019. La recherche audiovisuelle du duo est guidée par le sentiment d’une urgence liée aux fortes inégalités sociales en Amérique du Sud. Ensemble, Bárbara Wagner et Benjamin de Burca ont développé une méthodologie proche, jusqu’à un certain point, de la démarche journalistique. Concevant le scénario, la réalisation, les costumes et les bandes sonores en collaboration avec les protagonistes de chaque projet, ils réalisent ensuite des films et des installations vidéo en dialogue avec d’autres artistes et collectifs issus du spectacle vivant.
« Bárbara Wagner & Benjamin de Burca », Le 104, 5, rue Curial, Paris-19e, dates non définies, www.104.fr
Représentés par la galerie Fortes D’Aloia & Gabriel
(São Paulo, Rio de Janeiro, Lisbonne), www.fdag.com.br
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12 artistes brésiliens à (re)découvrir
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°784 du 1 avril 2025, avec le titre suivant : 12 artistes brésiliens à (re)découvrir