Loin d’être achevée et généralisée, la modernisation du "parc" des musées français se poursuit de façon plus pragmatique et plus parcimonieuse puisque, depuis 1993, le budget de la Culture a vu ses capacités d’investissement stagner, voire reculer. L’inauguration du Musée des beaux-arts de Lille et du département égyptien du Louvre constitueront les rendez-vous majeurs de l’année.
Pour la seule année en cours, le chantier du Grand Louvre concerne des espaces d’une étendue comparable à l’aile Richelieu ou au Musée d’Orsay, soit près de 40 000 m2. Seront achevées en mai la partie orientale de la Grande Galerie, ainsi que plusieurs salles du département des Antiquités grecques, étrusques et romaines. Puis, d’octobre à décembre, seront inaugurés la seconde tranche de la Grande Galerie, les treize salles de l’aile Sackler des Antiquités orientales (Iran, Levant, Arabie) et, surtout, en liaison avec la Saison égyptienne qui débutera alors, le département des Antiquités égyptiennes redéployé sur 4 100 m2, contre 2 500 auparavant.
À Paris toujours, le public retrouvera à partir de juin au Musée des arts décoratifs les salles du Moyen Âge, de la Renaissance, du Premier Empire et du début du XIXe siècle. En 1998, l’Union centrale des arts décoratifs rouvrira le reste des salles du musée, à l’exception de celles du XXe siècle, ainsi que le Musée de la publicité. Les travaux de rénovation et d’extension du Musée Guimet démarrent ce mois-ci et devraient s’achever en 1999. Cette opération en faveur des collections nationales d’art asiatique est évaluée à près de 330 millions de francs. Enfin, débuteront prochainement les réaménagements du Mnam-Centre Pompidou et de la Manufacture des Gobelins.
En province, les collections d’art moderne et contemporain mobilisent cette année l’attention avec deux créations de musées, l‘une aux abattoirs de Saint-Cyprien à Toulouse, l‘autre dans le quartier des Ponts-Couverts à Strasbourg. Nombre d’opérations, moins spectaculaires toutefois, se poursuivent hors de Paris : au Musée des beaux-arts de Nancy, au Musée du Vieux Marseille, au Musée Granet d’Aix-en-Provence…
Train de sénateur
Les contraintes budgétaires expliquent largement les aléas subis par certains projets comme celui du Musée des beaux-arts de Lille, qui rouvrira enfin en juin, avec plus de deux ans de retard. À Paris, dans le Marais, la création d’un nouveau Musée d’art et d’histoire du Judaïsme dans l’Hôtel Saint-Aignan, d’un coût de 200 millions de francs, devrait aboutir fin 1998 (au lieu de 1996), en raison des difficultés financières et des rapports longtemps difficiles de ses cofondateurs, l’État et la Ville. Deux ans également seront encore nécessaires avant que soit à nouveau accessible le Musée national des techniques (ex-Musée des arts et métiers) dont la restructuration, conduite par l’Éducation nationale, va son train de sénateur. Moins considérables sont les retards que connaissent le Musée régional d’anthropologie de la citadelle de Corte, visitable dès cet été, et celui de la carte à jouer, à Issy-les-Moulineaux, dont l’ouverture est programmée pour octobre.
En revanche, certains projets semblent s’enliser. Tel est le cas du Musée du temps à Besançon, du Musée César à Marseille, et des Musées du Moyen Âge/Thermes de Cluny, de l’Orangerie, de la Préhistoire, aux Eyzies-de-Tayac… D’autre projets marquent le pas, comme à Blois, où la Maison de la magie "chère" à Jack Lang (plus de 50 millions de francs versés par l’État) n’est toujours qu’illusion, et à Evry où le Musée d’art sacré attaché à la cathédrale, lui aussi subventionné sur décision de Jack Lang, demeure "immatériel" ! Soulignons que ces nouvelles et sévères contraintes financières n’ont pas épargné les musées privés, comme le Port-musée de Douardenez, qui a été mis en faillite, ou le Musée de la Poste dont la restauration s’éternise. Sans oublier les projets avortés des Fondations d’art contemporain Templon, à Fréjus, et Lambert, à Montpellier, ni les malheurs de la Fondation Vasarely, actuellement examinés par la justice.
En caisses depuis 40 ans
D’autres musées, qui pourtant le mériteraient, n’ont toujours pas bénéficié d’une cure de jouvence. Qu’il s’agisse du Musée Fabre à Montpellier, des Augustins à Toulouse, du Palais Longchamp à Marseille, du Musée Henner à Paris, du Musée national des arts et traditions populaires ou du Musée de la Céramique à Sèvres… Au rang des laissés pour compte figurent aussi collections et musées relevant d’autres ministères que celui de la Culture. Côté Défense, la modernisation du Musée de l’Armée ne s’opère pas à la hussarde, mais salle après salle, et seul le Musée de la Marine pourrait, à la faveur de son expulsion par les Arts Premiers (lire ci-contre), bénéficier d’un vrai projet. À l’Éducation nationale, l’expérience réussie de la Galerie de l’évolution du Muséum d’histoire naturelle ne semble pas faire école et s’étendre à la centaine d’établissements de ce ministère. Enfin, au ministère de l’Équipement, on semble peu soucieux des collections du Musée des travaux publics, en caisses depuis quarante ans ! La Ville de Paris connait une situation identique avec le Musée associatif Kwok On (arts scéniques asiatiques), lui aussi en caisses depuis son déménagement de la rue des Francs-Bourgeois.
Après une époque d’extraversion, s’annonce une période d’introspection car, aujourd’hui, de nouvelles questions assaillent les responsables de la Culture et des musées. Quels statuts et quelle autonomie appliquer aux musées ? Quelles politiques adopter en matière d’expositions temporaires, de relations avec le public, de tarification et de conditions d’ouverture ? Selon quels principes et jusqu’où développer les activités pédagogiques, éducatives et commerciales ? Plus fondamental encore, comment assurer leur coût de fonctionnement, sans cesse croissant et auquel ne pourront pas toujours faire face l’État et les collectivités territoriales, ni le mécénat, bien timoré dans notre pays ? Cette dernière question, vitale, conduira inéluctablement à se poser, avec quiétude et lucidité, celle, tabou, de l’incessibilité des œuvres des collections publiques, d’autant que les moyens d’enrichissement des collections – tant par acquisition que par dation – sont de plus en plus menacés. Le mouvement de modernisation des musées a débuté plus tardivement en Espagne. En Allemagne, il s’est mieux étalé dans le temps en raison de la structure fédérale du pays et de la réunification. En Italie et en Angleterre – grâce à la Loterie nationale –, il s’engage seulement. En France, il faudra encore une dizaine d’années pour que le parc de grands musées soit complètement rénové et régénéré.
Loi musées : le serpent de mer de la DMF
Le ministère de la Culture et la Direction des Musées de France (DMF) n’ont de cesse, depuis une quinzaine d’années, de travailler à une "nouvelle loi musées". Chaque ministre a rêvé de lui voir attaché son nom. Engagé sous Jack Lang, le projet de loi ficelé par Jacques Sallois, un temps repris par Jacques Toubon, dut être abandonné par ce dernier à l’été 1994. Françoise Cachin a repris le flambeau dès 1994, et peaufine depuis un projet de loi que son ministre de tutelle, Philippe Douste-Blazy, prétend vouloir faire aboutir dans l’année afin d’"offrir un cadre juridique unifié à toutes les familles de musées". Ces ambitions législatives obsessionnelles tendent à rénover une ordonnance, toujours en vigueur, de façon à mieux définir la notion de musée, non protégée à ce jour (l’ordonnance de 1945 définit simplement le musée comme "...une collection permanente et ouverte au public d’œuvres présentant un caractère artistique, historique ou archéologique..."). Il s’agirait également de préciser les compétences de la DMF sur les collections publiques, y compris celles gérées par des structures privées, tel l’Institut de France, et même le rôle des associations d’Amis de musées. Si le ministre de la Culture parvenait à soumettre un projet de loi en Conseil des ministres avant les échéances électorales de 1998, ce texte pourrait s’avérer, selon certains observateurs, elliptique, renvoyant à des décrets ultérieurs pour nombre de questions délicates ou contestées.
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Encore des musées en chantier
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Abonnez-vous dès 1 €Les Amis de Musées font de la résistance
Déjà, en 1995, dans une tribune intitulée État d’alerte (voir le JdA n° 18, octobre 1995), Annick Bourlet, présidente de la Fédération française des sociétés d’Amis de musées, s’inquiétait du peu de considération de la Direction des Musées de France pour les Amis de musées. La question rebondit aujourd’hui, d’une part avec le dernier projet de loi musées et, d’autre part, avec les tensions croissantes entre la Réunion des musées nationaux et les Amis du Louvre. Annick Bourlet a ainsi répété à Françoise Cachin le 5 février, la volonté du mouvement associatif de voir le projet de loi consacrer le rôle des amis de musées par la possibilité offerte aux musées de nouer par convention des partenariats avec ces personnes de droit privé. Une telle mention permettrait de clarifier nombre de situations jugées parfois confuses par les collectivités territoriales et les chambres régionales des comptes et, surtout, aurait valeur de symbole en consacrant le caractère représentatif et le rôle des associations d’Amis dans la vie et le rayonnement des musées. Ces principes ont été rappelés récemment avec force par le nouveau président des Amis du Louvre, Marc Fumaroli, face aux velléités de la RMN. Confrontée à des difficultés financières, cette dernière voudrait renégocier les "avantages" des quelque 60 000 Amis du Louvre. L’accès libre aux expositions du Grand Palais et la remise de catalogues aux membres bienfaiteurs justifieraient, selon la RMN, le reversement d’une quote-part des cotisations ou, à défaut, une distribution plus sélective des publications. Indigné, Marc Fumaroli, soutenu par Annick Bourlet, estime que la vocation même de l‘association serait remise en cause, rappelant son rôle essentiel dans le rayonnement du musée et l’enrichissement des collections depuis un siècle.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°34 du 1 mars 1997, avec le titre suivant : Encore des musées en chantier