BERLIN [23.04.12] – Dans un ouvrage provocateur paru fin mars, quatre acteurs du monde culturel dressent un bilan très sombre du modèle culturel allemand. En réaction à une politique jugée élitiste et figée, ils avancent des propositions pour le moins brutales et controversées. PAR SUZANNE LEMARDELÉ
« Que se passerait-il si la moitié des théâtres et des musées disparaissait, si quelques fonds d’archives étaient fusionnés et certaines scènes privatisées ? 3 200 musées au lieu de 6 300 en Allemagne, 70 scènes publiques au lieu de 140, 4 000 bibliothèques au lieu de 8 200, serait-ce l’apocalypse ? »
A défaut d’apocalypse, la suggestion entraîne en tout cas une jolie polémique outre-Rhin. Et pour cause, les auteurs de cette provocation sont des acteurs reconnus du monde de l’art : deux professeurs d’universités, un membre de l’administration culturelle et le directeur d’une fondation suisse. Dans un livre intitulé « Der Kulturinfarkt » (« L’infarctus culturel »), les quatre hommes exposent leur vision d’une offre culturelle allemande qu’ils jugent élitiste et surdimensionnée. Un pavé de 288 pages, jeté dans la mare tranquille des institutions allemandes.
Leur constat de départ est simple : le dogme du « Kultur für alle » (« Culture pour tous ») lancé en Allemagne dans les années 1970 est un échec. Rendue possible grâce à la croissance économique de l’époque, cette politique a entraîné un accroissement considérable des institutions culturelles. Les auteurs parlent d’une multiplication par sept, voire dix, du nombre de musées depuis la fin des années 1970. Un chiffre que la réunification n’explique pas à elle toute seule. Surtout, ils reprochent à cette politique d’avoir été menée sans réel programme, sans vision à long terme. La conséquence serait aujourd’hui une offre pléthorique et inadaptée, impossible à maintenir à flots en ces temps de crise économique. Ce système « en faillite » entraînerait une politique culturelle molle, figée, d’où la métaphore de l’infarctus : tel le malade, la culture serait « un organisme qui ne peut plus se mouvoir, qui reste sur son canapé et se nourrit de subventions ». A quoi bon maintenir ouverts 6 000 musées sans budgets d’acquisition et avec des horaires d’ouverture de plus en plus réduits ?
« Trop de tout et partout la même chose », dénoncent-ils. La solution serait donc de diminuer l’offre pour en améliorer la qualité et la diversité. Car les auteurs accusent également le système actuel de ne soutenir qu’un seul type de culture, la grande, la noble, en décalage total avec les attentes du public. « Les nouvelles générations ne veulent pas tant de grands théâtres, tant de grandes salles de concerts, ils veulent produire eux-mêmes », affirme Pius Knüsel, l’un des auteurs. Réduire le nombre de structures permettrait selon eux de redistribuer l’argent dégagé dans cinq domaines primordiaux : les institutions restantes, les projets culturels à vocation d’intégration sociale, l’industrie culturelle, les écoles d’art et l’éducation artistique. Ils proposent l’encouragement de la distribution numérique, l’établissement d’un droit d’auteur « clair et simple », la création de « parcs culturels » et de séances de business-coaching pour les entreprises. Fini le règne de la théorie, les étudiants en arts produiraient leurs travaux en relation directe avec les acteurs du marché.
Avant même la parution du livre, un article publié dans le Spiegel et résumant ces théories a suscité la colère des responsables de la scène culturelle allemande. Ils rejettent des thèses jugées simplificatrices et populistes. « C’est de la pure provocation », regrette Barbara Kisseler, parlementaire déléguée aux affaires culturelles à Hambourg. « Je suis très surprise de voir combien les auteurs ont l’air peu au fait du système actuel de subvention culturelle », ajoute-t-elle, « il y a longtemps que la culture n’est plus un temple pour élites bourgeoises ! » Hermann Parzinger, président de la fondation Stiftung Preußischer Kulturbesitz à Berlin, reconnaît quant à lui que certains thèmes méritent d’être abordés, « mais pas de cette façon ». « Il est vrai que toutes les infrastructures culturelles ne comprennent pas l’intérêt des études de marchés ou n’en ont pas les moyens. Des propositions intelligentes pourraient être faites à ce sujet mais dans ce livre, on les cherche en vain ! »
Les réactions négatives ne semblent pas atteindre les auteurs de Kulturinfarkt. « Je suis ravi de l’intensité des retours ! », se réjouit Pius Knüsel au micro d’une radio autrichienne. L’homme est pourtant très critiqué au sein même de la fondation Pro Helvetia, qu’il dirige depuis 2002. Tous se défendent néanmoins d’envisager réellement la fermeture de la moitié des institutions allemandes, arguant que leur but était de s’opposer au « lobby » tout puissant de la culture et de provoquer un débat. Mission accomplie.
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En Allemagne, les auteurs d’un livre polémique suggèrent la fermeture de la moitié des musées du pays
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