La commissaire invitée de la 14e Biennale de Lyon revient sur la place
prépondérante du son dans l’exposition comme vecteur de nouvelles sensations chez le spectateur.
Dans votre parcours, vous vous êtes toujours intéressée au croisement de la musique et des arts plastiques. Quelle est la place du son dans cette biennale ? La Biennale de Lyon offre un grand terrain de liberté et de créativité qui m’a permis de poursuivre les recherches sur l’interaction entre musique et arts visuels, amorcées dès l’exposition « Espace Odyssée » [en 2004, à la Cité de la musique], où j’avais exploré la dimension spatiale de la musique en faisant appel à Dominique Gonzalez-Foerster pour la scénographie. Pour la biennale, je souhaite faire accéder le spectateur à une dimension immersive et sensorielle de l’art. Le son a parfois la capacité de décupler notre attention, de permettre au spectateur d’accéder à d’autres niveaux de sensorialité et de connaissance, de laisser déferler dans l’exposition cet « espace noir, où d’autres présences sont possibles », selon La Phénoménologie de Merleau-Ponty.
Dans la section « Ocean of sounds », plusieurs œuvres s’inspirent de la musicalité de l’eau : est-ce pour rappeler que le son comme l’eau est synonyme de flux ? Le son a des dimensions multiples. Il peut être infinitésimal, comme le vent qui souffle chez Shimabuku ou comme le son inframince de l’eau qui coule dans Circulation de Hans Haacke, ou encore dans l’amplification d’une goutte d’eau chez Doug Aitken (Sonic Fountain). Le livre Ocean of Sounds de David Toop révèle cette autre perception du monde par le son en s’appuyant à la manière de John Cage sur les éléments naturels.
Art et musique sont liés depuis la fin du XIXe siècle, notamment dans la notion « d’œuvre d’art totale », est-ce ce lien que vous mettez en avant pour caractériser la « modernité » ? Je souhaite relire la modernité sous l’angle des flux, d’un processus de transformation et d’ouverture qui s’inscrit tout à la fois dans l’espace libéré de la page de Mallarmé, la musique en plein air de Debussy, la musique d’ameublement d’Erik Satie ou l’Erratum musical de Marcel Duchamp. Ces œuvres s’échappent de la salle de concert et annoncent déjà quelques années plus tard John Cage et sa postérité dans la scène actuelle. La modernité se caractérise par son élargissement. Le spectateur n’est pas dans un espace figé face à une toile, mais dans une circulation des flux. Comme à travers la luxuriance des sons de la forêt tropicale de l’œuvre Rainforest de David Tudor, il s’agit souvent de parler de l’infini.
Avez-vous pensé l’accrochage comme une partition ? C’est une jolie question ! Il y a l’idée d’une promenade, car je n’aime pas les parcours contraints. J’ai composé la biennale à partir de grandes tonalités sans que les sections soient strictement définies. Oui, c’est assez proche d’une partition, mais dans l’esprit de celle de Boucourechliev par exemple, de ses Archipels qui sont un ensemble de notes que les musiciens peuvent interpréter comme ils le souhaitent.
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Emma Lavigne : "Faire accéder le spectateur à une dimension sensorielle de l’art"
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°704 du 1 septembre 2017, avec le titre suivant : Emma Lavigne : "Faire accéder le spectateur à une dimension sensorielle de l’art"