Écrire et peindre, dans leurs acceptions les plus poétiques, tiennent-ils des deux extrémités qui lieraient d’un même continuum un trait d’esprit à un geste de la main ? Le Chant des morts, aujourd’hui disponible dans la collection Poésie/Gallimard, réédition en fac-similé de l’œuvre poétique initialement parue en 1948, met en présence deux expressions, deux paroles artistiques majeures du XXe siècle, celle du poète Reverdy et celle du peintre Picasso, dans une proximité singulière qui en fait une œuvre unique.
À la lecture, c’est la syntonie qui saute aux yeux, au pied de la lettre. Les deux mouvements, loin d’être en opposition ou en regard l’un de l’autre, s’entremêlent et se complètent dans un même espace et dans un même temps, comme l’un porterait au regard le sentiment procuré par l’environnement immédiat que l’autre lui fait, sans discernement. Les courbes des lettres cursives aux traits noirs et fragiles de la main du poète s’encastrent dans des éclats de peinture rouge au pinceau large et brut de Picasso. Leur mise en scène est complémentaire. L’écriture emplit la peinture, la peinture anime l’écriture, et les deux se nourrissent comme les systole et diastole d’un seul battement de cœur, les deux dynamiques – inspiration, expiration– d’un même souffle pour dire une même rage, le fluide d’un même sang. L’ensemble est soutenu par une composition qui suggère un travail d’enluminure au sein duquel se déroule la partition d’un chant choral qui, par moment, tient la superposition des vers sur une portée fictive ou bien en détaille les écarts, les scande point à point. La psalmodie fulgurante se déroule d’un jet, comme le seul geste d’une phrase sans point. Les balafres de pinceaux qui rythment haut et fort les battements de vie et les lignes sans rimes qui délient de sombres songes d’ombre rappellent ensemble que la poésie, tout comme la peinture, sait se faire tranchante comme une lame frappant la poitrine. La forme harmonisant le fond, les deux maîtres trouvent ici plus qu’un point de convergence, une parole commune, une voix en commun.
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Du doigt et de l’œil
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°702 du 1 juin 2017, avec le titre suivant : Du doigt et de l’œil