En matière de création artistique contemporaine, la question des droits d’auteur n’a cessé de se poser de façon de plus en plus prégnante au cours des dernières décennies. S’il fut un temps où Andy Warhol pouvait sans être inquiété reproduire la une de grands périodiques ou utiliser directement certains clichés photographiques, ce temps-là est bel et bien révolu. Le développement du concept de copyright et son corollaire lucratif ne pouvait pas ne pas concerner le champ des arts plastiques.
De fait les cas de figures mettant en cause cette question de la propriété de l’image sont de plus en plus fréquents, témoignage si nécessaire de l’insertion sans cesse grandissante de l’art dans la vie courante, et les artistes sont nombreux aujourd’hui à puiser à la source de réservoirs d’images, d’enseignes ou de labels destinés par nature à un autre usage. Sans qu’on le sache toujours, cela ne va pas sans toutes sortes de litiges entre les différents partenaires, les uns se réclamant comme des inventeurs, les autres simplement considérés comme des transformateurs – pour ce qu’un artiste n’est autre qu’une sorte de magicien réalisant une opération alchimique à base de matériaux donnés. Dès lors la question qui se pose est de savoir de quelle latitude celui-ci dispose au regard du matériau qu’il emploie. Une convention d’usage entre l’inventeur de l’image, de l’enseigne ou du label utilisés et l’artiste qui va en opérer une métamorphose se doit alors d’être clairement établie afin qu’aucun malentendu ne surgisse après-coup. Le problème qu’a rencontré le photographe plasticien Gianni Motti ces deux dernières années est emblématique à cet égard. À la lecture de son journal, frappé par le fait qu’une photo de l’AFP prise pendant la guerre dans les Balkans n’offrait à voir que d’infimes indices et que le paysage figuré présentait une troublante analogie avec celui de la Suisse où il vit, Motti en conclut que seule la légende qui l’accompagnait lui conférait le statut de photo de guerre. De là à vouloir travailler sur le décalage entre la réalité de la guerre et les photos censées la représenter, il n’y avait qu’un pas. C’est ce qu’il fit et acheta à l’AFP une dizaine de clichés de même nature disposant selon la facture, d’une hauteur très modeste, d’un « droit d’inspiration ». Dès lors, l’artiste les agrandit au format 50 x 70 cm, les retoucha très légèrement, se contentant d’effacer quelques flammes visibles pour laisser seulement les fumures semblables à une discrète montée de brume, puis les exposa en prenant soin évidemment d’en supprimer les légendes. Si les photos de l’artiste n’ont plus rien à voir avec celles de l’AFP et sont des paysages signés Motti à part entière, l’agence de presse ne l’entendit pas de la même oreille. Considérant que l’utilisation qu’en avait faite l’artiste ne correspondait pas à ce qui avait été convenu, elle décida de poursuivre et l’artiste, et la galerie, intermédiaire dans la vente au Fonds national d’art contemporain de l’ensemble de ces images. L’affaire est en cours. Ainsi taxées de contrefaçons par l’AFP, les images de Gianni Motti ne font que rejoindre les rangs de toutes ces productions dont il n’est pas toujours aisé de définir les limites de la pleine paternité. En d’autres temps, le peintre Arroyo qui s’était inspiré pour l’un de ses tableaux d’une photo de Cartier-Bresson gagna le procès que lui avait intenté le photographe. En ce domaine, le plus souvent, ce n’est pas tant le droit moral qui est mis en cause qu’une grossière question économique. L’écart entre le montant des droits de reproduction d’une image et le prix de vente d’une œuvre d’art qui s’en inspire ou qui la détourne est toujours au centre de la polémique. Simple question d’intérêt. D’ailleurs les situations qui sont portées sur la place publique ne sont ordinairement que celles qui sont les plus spectaculaires et dont l’écho médiatique est assuré d’effet. Il y a belle lurette que les artistes empruntent leurs motifs au monde extérieur, sinon se les empruntent les uns les autres.
C’est même l’un des vecteurs prospectifs de l’histoire de l’art ! Pourvu que ça dure.
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Droits d’auteur et création contemporaine
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°550 du 1 septembre 2003, avec le titre suivant : Droits d’auteur et création contemporaine