Vivace « Ornement »

Il n’en est rien, comme le montre cette exposition intitulée « Ever Living Ornement », déployée à Micro-Onde à Vélizy-Villacoublay et à La Maréchalerie à Versailles (Yvelines). Celle-ci explore l’ornement dans la création contemporaine, à travers les arts plastiques, le design graphique et l’architecture. La sélection, restreinte – une trentaine de pièces – et néanmoins habile, aborde moult thèmes tels la surface, le motif, l’enveloppe, l’espace public, la pratique ou… le pouvoir.

Vaisselle-souvenir
Il y est beaucoup question de motif, ce dernier étant ce par quoi l’ornement apparaît. Nathalie Du Pasquier a peint à l’encre noire et à la main des fragments de papier blanc qu’elle a assemblés verticalement sur un mur à la manière d’un jeu de construction. Son trait est si répétitif qu’on le dirait produit par la machine. L’effet, troublant, est accentué par des perspectives se télescopant en tous sens. L’ensemble, baptisé Les Caractères de l’ornement, forme une série de « tours » et laisse imaginer d’autres compositions. Inspiré par un élément phare de l’architecture islamique traditionnelle, les muqarnas, ce décor géométrique en encorbellement généralement situé au plafond pour simuler une image abstraite de l’infini, Timo Nasseri a conçu la sculpture en inox poli miroir Epistrophy no 6. Celle-ci reprend ledit motif géométrique pour le placer verticalement et à hauteur d’yeux, un basculement qui provoque, chez le visiteur, une intrigante mise en abyme de sa propre image.

Dans une étonnante vidéo intitulée Souvenir de Chine, le trio Koerner Union part à la source de la création d’un motif. Le dispositif consiste en un prisme triangulaire constitué de miroirs dans lequel sont lâchés des animaux : souris, canard, poule, perruche. Filmés en plan fixe, les motifs générés par les bêtes en mouvement sont envoûtants et leur effet kaléidoscopique, ambivalent : la beauté ordonnée et démultipliée des reflets l’emporte cruellement sur le sentiment de panique des animaux. Le collectif Cocktail Designers et le compositeur Sébastien Roux jouent, eux, sur un motif à la fois graphique, le papier peint, et sonore, la musique, et conçoivent la cloison Wallpaper Music, qui vibre autant acoustiquement que visuellement.

L’acte d’« orner » tient aussi de la pratique. Avec l’installation murale Poster, une quinzaine de plats en porcelaine émaillée, Pierre Ardouvin revisite l’assiette commémorative en plaquant, grâce à la technique de la vitrophanie, des photographies de postes de travail d’ouvriers d’usine qu’il pixellise de points colorés. L’intimité ouvrière réactualise avec humour et non sans un brin d’ironie quant au contexte de production ce concept démodé de la vaisselle-souvenir. De son côté, Séverine Hubard réalise des Totems à partir d’objets de récupération récoltés, l’an passé, par les habitants d’un quartier de Saint-Herblain (Loire-Atlantique). De ces accumulations de matériaux hétéroclites naît une flopée de motifs ornementaux.

« Indices esthétiques »
Sans doute suffit-il de promener son regard dans la ville pour se rendre compte qu’elle est l’un des berceaux de l’ornement. En témoignent ces 40 clichés en noir et blanc pris à New York, en 1979, par Àngels Ribé, Ornamentation : The Unrelated Object, répertoire de formes qui dit aussi l’écart entre voir et regarder. Cette exposition apprend à regarder, invitant le visiteur à observer l’espace public. À commencer par la façade de Micro-Onde, à Vélizy, investie par Fanette Mellier d’une mosaïque de papiers bariolés. Ce « vitrail » aux tons joyeux restitue de manière subtile l’identité originelle de l’édifice : son ondulation. Non loin, dans un immeuble du quartier Sadi-Lecointe, Julien Celdran s’est inspiré d’« indices esthétiques » chers aux résidents, telle la variété de rideaux, pour dessiner les motifs adhésifs qui ornent les huit halls d’entrée. Sur la pelouse, Anthony Bodin, lui, use de plaques industrielles en tôle ajourée habituellement utilisées en voirie pour franchir les tranchées, et les remplit de peinture. Les interstices ainsi comblés révèlent une trame élégante, métamorphosant ce matériau pauvre en une belle œuvre cinétique.

Dernière et passionnante piste de réflexion : l’ornement et le pouvoir. Dans la vidéo Dammi i colori (2003), Anri Sala montre la remise en peinture de bâtiments miteux de sa ville natale, Tirana (Albanie), à  la suite de l’élection de l’un de ses amis artistes devenu maire, Edi Rama. La couleur, ici, est vue comme un acte politique, mais quel est son impact réel : changement profond ou effet cosmétique ? Avec Like A Strategy en revanche, plus de doute possible. Le réalisateur Christian Barani filme Dubaï avec deux focales : d’un côté, « l’architecture comme ornement », avec une « ville-image » où des édifices-logos servent de paravents à la culture traditionnelle émiratie, de l’autre, « la femme comme ornement », et notamment les problèmes liés à la prostitution. Un ornement toujours vivace, certes, mais un « motif » pas toujours louable.