En 2009, Albertine Meunier crée Angelino. Danseuse miniature assez smart pour s’animer à chaque mention du mot « ange » sur Twitter, l’œuvre offre une déclinaison poétique à cet Internet des objets dont les médias annoncent alors la venue.
Seulement voilà : un an après la création de l’automate, le réseau social modifie son interface de programmation. La danseuse stoppe net, et Albertine Meunier doit la reprogrammer. Depuis, chaque variation de l’API (interface de programmation) de Twitter, chaque changement dans sa politique, chaque évolution de ses usages, expose Angelino au risque d’un arrêt de mort, donnant à l’expression « un ange passe » qui lui servait de sous-texte un sens inattendu…
Les infortunes d’Albertine Meunier ne sont pas un cas isolé. Jusqu’au 28 juin dernier, l’exposition « Archéologie des médias » à Seconde Nature (Aix-en-Provence), organisée par le PAMAL, unité de recherche de l’École supérieure d’art d’Avignon (ESAA), présentait ainsi un contingent d’œuvres médiatiques frappées d’obsolescence. On s’y portait au chevet de créations dont l’environnement technologique avait suffisamment évolué pour mettre en question leur survie.
Parmi elles, les Videotext Animated Poems d’Eduardo Kac créés sur Minitel au milieu des années1980, et donc presque impossibles à exposer sur leur support originel ; les Secrets de Nicolas Frespech (1997-1998) recueillis et diffusés en ligne avant que la chambre régionale des comptes du Languedoc-Roussillon (alors aux mains du FN) ne censure le site Internet et n’en supprime la base de données – rendant l’œuvre invisible sous sa forme interactive ; Counter de Gregory Chatonsky (1994) devenu inopérant à la suite de l’évolution des langages de programmation en usage sur le Web. Au gré d’une dizaine de pièces pourtant récentes, on y constatait que si toutes les œuvres d’art numérique ne mouraient pas d’obsolescence matérielle et/ou logicielle, toutes ou presque en étaient frappées. Et qu’en vertu d’un curieux paradoxe, les formes de création mobilisant les technologies et les médias les plus actuels étaient aussi celles qui, par leur vulnérabilité aux aléas de l’innovation, nécessitaient les mesures de restauration les plus délicates et les plus compliquées.
Mais comment les restaurer sans en modifier radicalement les caractéristiques techniques ni les modalités d’exposition, sans verser dans la simulation ?
Ce questionnement constitue l’un des champs de l’archéologie des médias, dont le PAMAL a fait sa spécialité. Nourrie entre autres par les écrits de Friedrich Kittler, cette (anti)discipline en pleine invention refuse de distinguer la part du hardware de celle du software – d’où le terme d’archéologie, qui suggère une volonté d’aller sonder jusqu’au cœur matériel des œuvres. Elle place ainsi la restauration des créations médiatiques dans un cadre plus vaste : celui de l’« écosystème » au sein duquel elles naissent, vivent et meurent.
Cet effort de contextualité fixe aux chercheurs du PAMAL les limites de leurs interventions : « Ce qui nous intéresse, explique Emmanuel Guez, artiste et directeur de l’unité de recherche, c’est de voir quelle est la durée de vie réelle d’une œuvre. Nous faisons tout pour la sauver, mais à condition de la conserver autant que possible dans l’état conçu par l’artiste. » Et quand une telle entreprise se révèle impossible ? « Nous préconisons d’accepter la mort de l’œuvre, poursuit Emmanuel Guez, et de prendre acte de son caractère éphémère. Il faut alors organiser son histoire et sa sépulture. Au PAMAL, nous organisons les cimetières de l’art médiatique. »
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Vie et mort de l’œuvre d’art médiatique
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Abonnez-vous dès 1 €Albertine Meunier, Angelino, © Photo : Pamal
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°681 du 1 juillet 2015, avec le titre suivant : Vie et mort de l’œuvre d’art médiatique