En lice pour le prestigieux prix Marcel Duchamp, la peintre Valérie Favre est à l’honneur à la galerie Jocelyn Wolff, à Paris.
Valérie Favre est artiste. Conteuse en fait, elle l’a presque toujours été, et elle continue de raconter des histoires en peignant des tableaux. Elle est arrivée en France en tant que comédienne, en 1982, après des débuts suisses qui avaient semblé encourageants à la Comédie de Genève, dans un rôle muet, une pantomime appréciée par la critique locale. Celle de Paris fut nettement moins enthousiaste. Valérie Favre s’en amuse aujourd’hui : « Colette Godard, du Monde, avait même écrit : “Que fait donc Valérie Favre sur la scène ?” ».
Valérie Favre est peintre. Le théâtre, Valérie Favre l’a abordé via la peinture, se consacrant à la réalisation de décors avant son expérience contrastée de la scène. La peinture est bien sa première formation, même si elle n’a pas pu effectuer d’école d’art, puisqu’elle a échoué au concours, croyant devoir alors renoncer à son rêve : devenir peintre. Elle s’est formée largement en autodidacte, à partir de cours de dessin suivis à Neufchâtel. « À 12-13 ans, je passais déjà mes journées et mes week-ends à peindre et dessiner, j’ai fait mes premières peintures à l’huile. L’école d’art que j’ai fréquentée, c’était très Grande Chaumière ! ». Là encore, elle s’en amuse, mais poursuit : « D’un autre côté, on nous enseignait des techniques, en fait, j’ai appris des trucs que l’on n’apprend plus forcément en école des beaux-arts ».
De Paris à Berlin
C’est pourtant elle, qui n’a donc jamais reçu de formation « digne de ce nom » en école supérieure des beaux-arts, qui, ayant quitté, en 1998, Paris pour Berlin – ville où sa peinture a pris son envol avec, désormais, un atelier de 250 m2, dans le quartier de Wedding – a été choisie en 2006 pour y devenir professeur de peinture à l’Universität der Künste. Première femme à y enseigner cette technique, elle exerce dans une des écoles supérieures des beaux-arts les plus réputées d’Europe. Ses collègues actuels ? Des artistes aussi reconnus qu’Olafur Eliasson et Gregor Schneider. Ses prédécesseurs comme professeurs de peinture ? Georg Baselitz et Daniel Richter. Voici donc Valérie Favre chargée de transmettre sa passion et son métier de peintre à ses étudiants, parmi lesquels compte notamment Nicolai Huch exposé récemment à la galerie Polad-Hardouin, de la rue Quincampoix à Paris, dont une réelle parenté avec le travail de Valérie Favre est reconnaissable. Il est des professeurs qui savent transmettre.
Valérie Favre est donc artiste peintre. Elle est aujourd’hui représentée par les galeries Jocelyn Wolff à Paris, Barbara Thumm à Berlin, Susanne Vielmetter en Californie et Peter Kilchmann à Zürich. À chaque fois, des galeries reconnues, mais jamais des poids lourds du marché, même en Allemagne où elle vit. La galeriste Nathalie Obadia, qui l’a lancée en France en 1993 et qui l’a représentée jusqu’en 2006, souligne, bonne joueuse, les qualités du travail de son ancienne artiste : « Valérie a toujours utilisé des coloris pas faciles, des verts, des marrons ; elle a eu l’audace d’utiliser la figure et de s’affirmer comme peintre à une époque où, en France, c’était très mal vu. Pour moi, elle y a longtemps été la meilleure peintre de sa génération, en pratiquant une peinture très expressionniste, un peu surréaliste en même temps, elle allait très loin dans la fantaisie et le malaise. Ça sort des tripes, c’est très touchant et très violent, elle prend toujours des risques ».
Le départ de France de l’artiste ? Nathalie Obadia poursuit : « Pour moi, elle souffrait de ne pas être dans le réseau branché, elle était surtout défendue par le réseau peinture, ce qui lui fermait des portes par ailleurs […] En 1996, j’ai postulé à Statement à Art Basel, Pierre Huber a fait pression pour que j’expose Jessica Stockholder, une Américaine ; il n’arrêtait pas de me téléphoner, mais j’ai résisté et exposé quand même Valérie Favre. On a très bien vendu, mais je l’ai payé à Bâle pendant dix ans en étant désignée comme la galerie de peinture, figurative et expressionniste. En France déjà, Valérie n’était pas reconnue à sa juste valeur, on ne pouvait pas la montrer au Musée d’art moderne de la ville de Paris ou au Musée national d’art moderne. L’Allemagne est un pays de grands peintres, mais il n’y a jamais eu de grands peintres qui soient des femmes. Valérie en a souffert, car elle n’a pas trouvé sa place comme une grande artiste allemande ». Valérie Favre illustre à elle seule la situation peu confortable des peintres dans le monde de l’art contemporain français, mais aussi celle, tout aussi difficile, des femmes parmi les peintres très reconnus. Changer de galerie était-il bienvenu ? Nathalie Obadia explique : « J’ai été choquée, elle aussi, elle savait qu’elle partait – parce qu’elle a été mal conseillée – de chez quelqu’un qui l’aimait, qui la défendait pour une galerie qui ne l’assume pas ! ». L’artiste Marc Desgrandchamps qui, avec Philippe Cognée et Valérie Favre, fait partie de ces peintres « français » qui ont souffert en milieu de carrière de la désaffection des institutions nationales à l’égard de leur médium, souligne à la fois une certaine communauté d’expérience et les qualités du travail de sa consœur : « Avec Valérie, on appartient à une génération commune, nous avons été confrontés à un espace artistique similaire grâce à notre démarche. Valérie Favre fait un très beau travail que je connais depuis longtemps. Elle est très peintre, tout en ayant une approche très ouverte, elle a vraiment développé quelque chose de particulier, une forme baroque, avec beaucoup d’audace, de fantaisie ». Quant à Philippe Dagen, professeur d’histoire de l’art et critique du Monde, il analyse le travail de Valérie Fabre comme « une réflexion sur la situation actuelle de l’art, et de la peinture en particulier, fondée sur un imaginaire très présent et singulier : des mythologies personnelles (les cafards, les lapines), des mythologies anciennes (monstres, fantômes) et l’obsession de la disparition (une centaine de toiles est consacrée aux différentes manières de se suicider et aux suicides d’écrivains, philosophes et artistes). […] Elle assemble les éléments d’une œuvre dont la cohérence autobiographique et psychique ne cesse de s’affirmer ».
Cherchez la femme
En ce mois d’octobre, Valérie Favre bénéficie d’une belle actualité française puisqu’elle est – étonnamment – sélectionnée pour le prestigieux et convoité prix Marcel Duchamp décerné par l’Association pour la diffusion internationale de l’art français (ADIAF). Si les résultats sont annoncés le 20 octobre seulement, il apparaît bien peu probable que Valérie Favre soit consacrée. C’est peu dire, en effet, qu’elle détonne, d’abord à cause du médium qui est le sien (elle est la seule peintre à concourir pour cette édition du prix), mais de son âge également – elle est en compétition avec Daniel Dewar & Grégory Gicquel, Bertrand Lamarche et Franck Scurti, plus jeunes qu’elle. Valérie Favre a en effet 53 ans, quand les précédents artistes consacrés depuis 2001 n’affichaient lors de leur désignation que 38 ans en moyenne ; le benjamin des lauréats étant Cyprien Gaillard (30 ans en 2010), et le doyen Philippe Mayaux (45 ans en 2006). Autant dire que consacrer Valérie Favre reviendrait à changer considérablement l’orientation du prix. Le site de l’ADIAF précise, par ailleurs, que : « Le prix Marcel Duchamp est décerné à un artiste résidant en France » ! Que vient donc faire ici la Berlinoise Valérie Favre qui n’a jamais fait mystère de son lieu de résidence depuis bientôt quinze ans ? On ne saurait soupçonner l’ADIAF d’être aussi mal informée. Nominer Valérie Favre se résume peut-être seulement à se donner bonne conscience.
La galerie Jocelyn Wolff lui consacre une exposition personnelle (jusqu’au 4 novembre). On pourra être déçu de ne découvrir que de petits formats, dont d’excellents dessins, dans la galerie exiguë. Elle montre également peu Valérie Favre dans les foires importantes, peut-être parce qu’elle est la seule de ses artistes dont la peinture sur toile constitue la pratique principale et qu’elle a beaucoup manié la couleur. L’artiste prend désormais des risques, renonçant tout à la fois à celle-ci, à la figuration, aux effets de matière, à la peinture à l’huile remplacée surtout par les encres, illustrant une fois de plus sa démarche très cérébrale par cette nouvelle série qui dialogue avec les précédentes. L’artiste évoque « un paysage romantique à la Gaspard David Friedrich, mais sur la planète Mars après une explosion atomique. C’est très liquide, avec une atmosphère englobée dans le thème de l’air ». Philippe Dagen, qui la défend pour le prix Marcel Duchamp, poursuit : « Ce sont principalement des encres, sans huile sur toile, dans la volonté d’amincir, d’épuiser la matière picturale et la couleur. J’y vois l’une des manifestations de son obsession de la disparition : ce sont des fantômes, des spectres de peinture, au sens où Hugo employait le terme. Peinture sans doute marquée par le romantisme […] il y a dans l’atelier des toiles de plusieurs mètres de long où l’effacement est fascinant, en tant que tel. À mes yeux, ces toiles sont d’abord des terreurs nocturnes, puis un retour sur les pouvoirs figuratifs de la peinture et ne sont donc pas très loin de ce que l’on appelait jadis des vanités. Selon moi, elles sont parmi les œuvres les plus captivantes de Valérie Favre ». Espérons pour l’artiste que Philippe Dagen sera entendu le 20 octobre.
1959 Naissance à Bienne, enfance à Evilard, Suisse.
1982 Installation à Paris.
1993 Nathalie Obadia ouvre sa galerie à Paris avec une exposition de Valérie Favre.
1998 Quitte Paris pour s’installer à Berlin, apprend l’allemand.
2006 Nommée professeur de peinture à l’Universität der Künste de Berlin.
2007 Quitte la galerie Nathalie Obadia pour la galerie Jocelyn Wolff à Paris.
2012 Sélectionnée pour le prix Marcel Duchamp ; Exposition à la galerie Jocelyn Wolff à Paris.
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Valérie Favre - Artiste et peintre
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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°376 du 5 octobre 2012, avec le titre suivant : Valérie Favre - Artiste et peintre