À la Philharmonie, l’installation d’Adrien M & Claire B immerge le visiteur « en amour », expérience à la fois intime et universelle.
Pour décrire le sentiment amoureux, la poésie file le plus souvent la métaphore du feu. Dans l’installation qu’ils présentent en ce moment à la Philharmonie, Adrien M & Claire B lui préfèrent celle de l’eau. Pour cette compagnie hybride, tendue entre spectacle vivant et art numérique, elle est de longue date un leitmotiv. Après L’ombre de la vapeur en 2018, Aqua Alta, beau livre-objet publié en 2020, décrivait grâce à la réalité augmentée un couple en proie à un débordement littéral, jusqu’au risque d’être englouti. À travers une série d’écrans que le visiteur peut toucher pour en faire jaillir des éclats de lumière, En amour embrasse à nouveau l’élément aquatique. Au gré d’un récit de quarante minutes, l’eau s’y décline dans (presque) tous ses états : l’onde claire de la rivière y devient ressac, puis crève en gouttes de pluie d’un épais nuage noir. Mise en abyme du dispositif immersif lui-même, les métamorphoses décrites dans l’installation accompagnent le récit d’une histoire d’amour. Un premier niveau de lecture suggère qu’il s’agit d’abord de celle d’Adrien M & Claire B : longtemps couple à la ville, le duo artistique s’est séparé alors qu’il mûrissait En Amour. Dans cette œuvre complexe, il a trouvé le moyen d’accompagner, voire de négocier la rupture. Pour la première fois depuis leur rencontre, les deux artistes y ont aussi vu l’occasion d’embrasser pleinement la narration.
Tout au long de la projection, une voix féminine – celle de la chanteuse November Ultra – vient ponctuer la composition musicale de Laurent Bardainne (cousin de Claire B). Elle égrène quelques souvenirs heureux, évoque la rupture et les déménagements, le deuil et l’acceptation de la vie sans l’autre. Elliptique, ce récit d’une histoire singulière tend ainsi vers l’universalité de l’amour. Ici, le public est même invité à la toucher littéralement du doigt et à s’y absorber tout à fait. Pourtant, la voix qui scande En Amourénonce très vite l’existence d’un sentiment bien plus vaste. « Je suis amoureuse de la rivière qui coule à côté de la maison », dit-elle d’emblée. Puis, plus loin : « Je ne suis plus amoureuse de toi, je suis amoureuse tout court. » Chez Adrien M & Claire B, les émotions et expériences humaines se corrèlent très souvent aux éléments naturels. Il y a chez eux un penchant animiste, qui leur a sans doute inspiré la série des Rituels où En Amour prend place. Dans les images de l’eau qui défilent sous nos yeux, il faut ainsi lire l’héritage de Gaston Bachelard. Les métamorphoses de la matière y servent l’imagination, elles scandent le récit d’une transformation, de soi et du monde. L’amour s’étend alors à tout l’univers. Pour filer jusqu’au bout la métaphore liquide, il invite à éprouver toute l’amplitude du sentiment océanique.
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Une transformation de soi et du monde
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°774 du 1 avril 2024, avec le titre suivant : Une transformation de soi et du monde