Le Frac Corse expose Gaël Peltier, qui construit une mythologie personnelle entre acteur, boxeur et mauvais garçon.
CORTE - Exposé en France et en Allemagne depuis dix ans maintenant, le travail de Gaël Peltier se tient dans un entre-deux risqué. Il relève d’un côté d’une économie de moyens manifeste et, de l’autre, est porté par un engagement de l’artiste entre ironie joueuse et sourde tension, à peine contenue. Cette première exposition personnelle, au Fonds régional d’art contemporain (Frac) de la Corse, à Corte, permet de remettre en perspective les travaux antérieurs de l’artiste : ses photographies, ses séquences vidéo des premières années – souvent brèves, en plan- séquence – , ses objets (trouvés, collectionnés), ses actions et performances, enfin, qui ont pris de plus en plus d’importance dans la démarche. L’ensemble demeure attaché à une forme sinon d’hermétisme, du moins de mise en scène du secret, qui laisse le visiteur devant la nécessité de prendre des décisions, de décider d’une interprétation. Les pièces ne manquent pas pourtant de prise, souvent par jeu d’emprunt à l’univers du cinéma, volontiers américain, de série B et daté, et plus généralement par des références à une certaine médiocrité du quotidien, télévisuel entre autres.
Attentif à des reliques dérisoires de la vie américaine des années 1960-1970, à des signes pauvres de la « culture » commerciale, à des objets qui fonctionnent comme des pièces à conviction, des indices, Peltier ouvre des pistes dans cet univers de signes vernaculaires qui orientent tantôt vers des formes de l’art (Mondrian sous la forme d’un maillot de cycliste), tantôt vers des personnages de cinéma ou des bribes de l’histoire (l’assassinat de John F. Kennedy par exemple, avec le rôle qu’y prend l’image filmée). Si bien qu’il règne dans les pièces une confuse atmosphère de complot, de menace – mais pas du tout dans l’accrochage, qui, au contraire, est clair, presque sec. Cette banalité s’incarne aussi dans la personne même de l’artiste, qui, de plus en plus, se construit en personnage, avec une mythologie personnelle soit explicite dans les œuvres, soit touchant à la personne civile.
Un art d’attitude vraiment à part
Ainsi Peltier s’entraîne-t-il régulièrement à la boxe, ce sport aux significations sociales complexes. Ou encore apparaît-il comme héros – plutôt comme anti-héros – du film vidéo qui est le centre de gravité de l’exposition. Ici, entre la fiction de l’œuvre et la vie matérielle de l’artiste, les différences se brouillent : ainsi Peltier est bel et bien parti en résidence à New York en 2010, dans l’ombre d’un acteur que son rôle aurait condamné à prendre du poids, se glissant entre Robert De Niro, Jake LaMotta et Travis Bickle (le personnage), entre le champion, le prolétaire et le mauvais garçon. Au prix d’une trentaine de kilos de surpoids pris comme un conditionnement sculptural, il a opéré sur son propre corps une transformation plastique forte dont le film rend compte, non sans dérision : s’adressant à la webcaméra de son ordinateur, le personnage qu’il incarne littéralement raconte une vie banale, grotesque, carnavalesque, de loser velléitaire, vaguement artiste, souvent crétin, pathétique mais sans pathos, corrosif et attachant.
Il y a vraiment un ton singulier dans cette autofiction au seuil incertain, mais où se tient très clairement un artiste qui dessine là une posture résistante et conflictuelle. Il y affirme un art d’attitude vraiment à part, d’une verve qui touche à celle du John O’Toole, l’auteur de La Conjuration des imbéciles (1980, Louisiana State University Press).
Commissaire :Anne Alessandri, directrice du Frac Corse
Nombre de pièces : 19
Jusqu’au 6 février 2012, Frac Corse, La Citadelle, 25000 Corte, tél. 04 95 46 22 18, lun.-ven. 10h-12h, 14h-17h, sam. 14h-17h. Catalogue à paraître.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Une mise au poing
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°359 du 16 décembre 2011, avec le titre suivant : Une mise au poing