Anish Kapoor a installé une œuvre de 36 m de long dans le magasin aux foins du Musée des arts contemporains du Grand-Hornu.
HORNU (Belgique) - Le titre d’une exposition peut parfois lui coller parfaitement à la peau. Ainsi en est-il de cette vaste exposition consacrée à l’œuvre d’Anish Kapoor, déployée dans plusieurs salles du Musée des arts contemporains du Grand-Hornu (MAC’s), en Belgique, et baptisée « Melancholia ». Ce nom est aussi celui d’une pièce monumentale – longueur : 36 m, largeur : 11,20 m, hauteur : 6,80 m –, commanditée pour l’occasion par le MAC’s et installée dans le magasin aux foins. Beaucoup plus petite que Marsyas, l’œuvre gigantesque – 155 mètres de long et 35 de haut – que l’artiste avait installée dans le Turbine Hall de la Tate Modern, à Londres, à l’occasion du projet « The Unilever Series » (octobre 2002-avril 2003), Melancholia (la sculpture) en a néanmoins quelques airs de famille. On dirait deux entonnoirs géants, l’un carré, l’autre circulaire, joints par leur partie la plus menue – le tube. La sculpture est constituée de deux structures en acier reliées entre elles par une immense toile de PVC blanche, tendue telle une peau de tambour. Dans sa globalité, « Melancholia » (l’exposition) fonctionne, tant plastiquement qu’émotionnellement, comme Melancholia (la sculpture) : en trois temps. Un départ en fanfare, suivi par une longue suite un peu sourde, où la tension baisse quelque peu, avant un final à nouveau retentissant avec, en l’occurrence, My Red Homeland, une œuvre présentée une seule fois jusqu’alors, en 2003 à la Kunsthaus de Bregenz (Autriche).
D’abord donc, Melancholia (la sculpture). Ce travail évoquerait-il la mélancolie ? « Certainement pas, estime Kapoor. La mélancolie est une construction de l’esprit que l’on associe toujours avec quelque chose de perdu. Ce nom est un peu provocateur, soit, mais il ne faut pas le prendre au mot. Pour moi, il s’agit juste d’ajouter un élément nouveau à la sculpture, car je m’intéresse au langage métaphorique. Chercher la possibilité d’une métaphore est l’objectif réel de l’œuvre. Si elle ne l’atteint pas, ce n’est qu’un simple volume. » La membrane de plastique de Melancholia paraît quasi charnelle. « J’attache beaucoup d’importance à la peau, explique Kapoor, d’ailleurs mes objets parlent tous de cette “dernière couche”. En fait, j’explore les relations entre la matérialité et la non-matérialité. » Devant l’une ou l’autre de ces énormes corolles, on est irrésistiblement attiré comme dans un puits sans fond. Le pouvoir de la forme suscite soudain comme une douce sensation de vertige. « Dans les tableaux du peintre allemand Caspar David Friedrich, fait remarquer Kapoor, il y a souvent un personnage qui regarde le paysage. Dans mon travail, je cherche, au contraire, à réduire cette distance en tant que spectateur, à avoir une vision directe avec l’œuvre, non à travers les yeux d’un personnage. »
Aurore boréale
La deuxième partie de l’exposition, la plus faible, dévoile 86 gouaches réalisées ces dix dernières années, principalement en deux formats : 50 x 40 cm et 80 x 60 cm. Des taches de couleurs, une aurore boréale ou un ciel, ou peut-être une forme en fusion, qui se consume de l’intérieur. De la lumière aussi. On pense à Mark Rothko. « Ces dessins ne sont pas des tentatives de faire quelque chose de beau, mais une manière de voir jusqu’où je peux aller en tant qu’artiste, note Kapoor. Ces représentations récurrentes d’une même figure sont, pour moi, une sorte de médication, de thérapie.»
Une thérapie qui s’achève en apothéose dans la dernière salle où est installée My Red Homeland, lourde pièce – 25 tonnes – constituée d’une immense masse de vaseline d’un rouge profond, balayée circulairement par une sorte de gros mortier d’acier. « C’est un corps, du sang, un paysage, une sorte de montagne, dit Kapoor. Cette œuvre me rappelle mes travaux du début, lorsque je faisais des objets à partir de la matérialité de la peinture. Ici, on dirait de la gouache sortie directement du tube. » Si cette œuvre est fortement sensuelle –la substance grasse évoque celle d’un rouge à lèvres –, elle rappelle aussi, avec flagrance, les origines indiennes de cet artiste londonien né à Bombay en 1954. Ce cercle rouge sombre est sans doute aussi la marque que s’appliquent sur le front les croyants, après leurs ablutions matinales... Et le mortier d’acier une métaphore des cycles et de la vie. Il tourne, inexorablement, à raison d’un tour par heure.
Jusqu’au 6 mars, MAC’s, site du Grand-Hornu, 82, rue Sainte-Louise, Hornu (Belgique), tél. 32 65 65 21 21, www.grand-hornu.be, tlj sauf lundi 10h-18h.
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Une douce sensation de vertige
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°206 du 7 janvier 2005, avec le titre suivant : Une douce sensation de vertige