Avec « J’ai deux amours », qui présente pour la première fois une sélection de ses œuvres, la Cité nationale de l’immigration relève avec intelligence le défi de la collection d’art contemporain.
PARIS - L’immigration peut-elle s’instituer en thématique pour constituer une collection d’art contemporain ? Dès avant 2007, date de son ouverture au public, la Cité nationale de l’histoire de l’immigration, à Paris, a souhaité associer à l’approche historique et anthropologique de son sujet un volet artistique, et consacre un budget annuel significatif et constant à l’enrichissement de ce fonds. Si la majorité des œuvres de la collection sont signées d’artistes issus de l’immigration en France, et donc essentiellement d’origine maghrébine, la politique d’acquisition s’est ouverte récemment à d’autres pays, et a élargi la réflexion à la question des flux migratoires mondiaux, mais aussi à celles de la mobilité et de la circulation comme sources de diversité culturelle.
Pour cette première exposition qui, sous le titre « J’ai deux amours », présente aujourd’hui une centaine d’oeuvres de la collection sur les plus de quatre cents qui la composent, Isabelle Renard, sa responsable, a sollicité le regard de Hou Hanru et Évelyne Jouanno, critiques et commissaires d’exposition, notamment de « Paris pour escale » au Musée d’art moderne de la Ville de Paris en 2000.
Ces derniers ont défini quelques grands axes formant des sections telles que « Frontières : passages et contrôles » ou « Vivre ensemble », qui n’interdisent pas les lectures plurielles mais organisent le parcours. Autour de la notion de « Départ » sont ainsi confrontées les « Voitures cathédrale » de Thomas Mailaender – voitures surchargées de marchandises et bagages embarquant à Marseille et photographiées selon un protocole identique –, à la monumentale barque emplie de ballots chamarrés sur un lit de bouteilles (Road to Exile, 2008) de Barthélémy Toguo. Tandis que la vidéo du jeune Taysir Batnij montre un ferry chargé de voyageurs traversant le champ de la caméra dans un temps distendu, indéterminé et flottant. Plus loin, les itinéraires de voyageurs clandestins, d’Afrique du Nord à la France, l’Espagne ou l’Italie, sont relatés par les intéressés dans huit vidéos de Bouchra Khalili avant que chacun ne trouve sa traduction dans le tracé d’une constellation d’étoiles. Des clandestins dont la dimension d’anonymat et d’« invisibilité » est relevée par deux artistes français : Mathieu Pernot et ses photographies d’Afghans saisis dans leur sommeil au sol ou sur un banc public recouverts de la tête aux pieds d’un drap ou sac de couchage ; Bruno Serralongue et sa série « Calais », montrant les abris de fortune improvisés par les migrants dans les bois jouxtant la ville. Parallèlement, La Machine à rêver de Kader Attia, les chaises transformées en tambour de Chen Zhen, le tapis planisphère de Mona Hatoum, les baluchons de Kimsooja ou les matelas reprenant la carte des quartiers chinois des grandes villes d’Europe de Shen Yuan proposent une vision plus métaphorique des tensions et tiraillements nés de l’exil, que celui-ci soit forcé ou choisi.
L’exposition rend compte de cette évolution qui laisse présager la sortie d’une vision eurocentrique pour le partage d’une scène artistique dans laquelle les rôles seraient redéfinis…, et un devenir fécond pour cette collection.
Commissaires de l’exposition : Isabelle Renard, chargée de mission pour la collection d’art contemporain du musée ; Hou Hanru et Évelyne Jouanno
Nombre d’artistes : 22
Nombre d’œuvres : 106
jusqu’au 24 juin, Cité nationale de l’histoire de l’immigration, 293, av. Daumesnil, 75012 Paris, tél. 01 53 59 58 60, du mardi au vendredi 10h-17h30, le week-end 10h-19h, www.histoire-immigration.fr. Catalogue, 144 p., 14,50 €, ISBN 978-2-919040-07-0.
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Une Cité accueillante
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°361 du 20 janvier 2012, avec le titre suivant : Une Cité accueillante