Le Musée des arts contemporains du Grand-Hornu, en Belgique, associe trois artistes de sa collection
dans un parcours qui demeure à trois voies.
Grand-Hornu - En souhaitant interroger le rapport au réel au travers de la pratique photographique chez trois artistes, Denis Gielen, commissaire de l’exposition et adjoint à la direction, au côté de Laurent Busine, du MAC’s, le Musée des arts contemporains installé sur le remarquable site du Grand-Hornu en Belgique, ouvre une boîte de Pandore. Ou plutôt trois, qui voudraient n’avoir pourtant qu’un seul couvercle… Le titre, « Le miroir et les chemins », apprend-on en engageant le parcours, vient de Stendhal pour décrire le travail du roman, « miroir que l’on promène le long du chemin ». Pas sûr pourtant que l’image littéraire suffise à rendre compte de la finesse des écritures de Peter Downsbrough, Philippe Durand et Jacqueline Mesmaeker, présents dans la collection du MAC’s. L’accrochage respecte pourtant leur singularité, à quelques moments près de croisement ou de vis-à-vis. Et c’est tant mieux pour les œuvres, à défaut de proposer au visiteur une lecture convaincante. Car les projets de chacun des trois paraissent bien loin de toute innocence réaliste ; et l’usage du monde par la photographie (ici et ailleurs) ne saurait guère tenir du seul reflet. Sur des voies très différentes, les trois pratiques sont réfléchies et construites pour résister, fût-ce très modestement, au monde, et s’avouent volontiers chargées des héritages d’une histoire moderne de la photographie.
Ainsi Jacqueline Mesmaeker, la Bruxelloise (née en 1929). La série « 21 mars 1975 » donne à voir des espaces familiers mais distanciés, peuplés de personnages souvent pris dans une familiarité de vie et de situation, comme autour d’un événement invisible. Les tirages en noir et blanc aux formats proches de celui de l’album familial, montés assez pauvrement sur papier calque et encadrés comme à la maison, décrivent une atmosphère flottante, une situation suspendue, plus ou moins indifférente, arbitraire, posée dans des cadrages sans effet. Le « punctum » barthésien reste en attente de poindre. Ou être déjà passé. La séquence compte 33 images déployées en une ligne continue dans la grande salle longue du MAC’s où s’affirme, mais en creux, la présence-absence du photographe, de chacun des photographes qui se sont prêtés au jeu. L’ensemble est réuni par la date et l’heure, résultat d’un protocole de l’artiste. Un protocole conceptuel qui ne cache pas son millésime : 1975.
« Grâce bucolique »
Peter Downsbrough (1940, lui aussi Bruxellois d’adoption et Américain de naissance) assigne bien au contraire un lieu précis à l’observateur qu’il est dans des lieux sans qualités, souvent fonctionnels, ruelles de service, voies de chemin de fer, parkings, aussi bien à travers ses photos que dans le film qu’il présente ici. Chez lui, le noir et blanc, choix délibéré pour des images réalisées entre 1979 et 2005, vient souligner l’aspect graphique des images, souvent très frontales, pour donner à saisir une écriture du théâtre urbain. Sans porter de jugement sur la qualité des territoires visités, Downsbrough leur donne pourtant une dimension émotive par l’absence : la scène est presque toujours vide, hors temps vécu. Sans doute est-ce, comme avec ses dispositifs de marquage in situ, l’espace entre les choses qu’il vise, espace que la présence du spectateur anime, occupé qu’il est à relier les paires et les manques que balisent les lettrages muraux.
Du coup, le travail de Philippe Durand, devant ces stratégies de retrait formel comme thématique, apparaît dans toute l’attention qu’il porte à la qualité de la surface photographique. Pourtant, lui non plus ne photographie pas grand-chose : des angles morts, des fragments d’urbanité accidentels, négligés. Mais la recherche de matière, de couleurs, visuellement complexifiée par le reflet, ici dans des fragments de verre ou là dans le miroir provisoire de flaques, dote d’une grâce bucolique et ironique les mondes abandonnés dont les images sont la trace. Les images de la série « Rejas » (2005), dont le premier plan est rythmé par la trame d’un grillage parfois ruiné, laissant l’arrière-plan dans le flou, donnent à voir des espaces habités mais cotonneux, plutôt déstabilisants sinon menaçants. Il n’y a rien là cependant d’un sociologisme dénonciateur, mais bien plus une volonté, au bord du dérisoire, de réinvestir la vision d’une charge poétique modeste. Ce qui donne plus de poids à la vidéo de Durand, ce plan fixe où des vacanciers maladroits et souvent désinvoltes, tentent, bon an, mal an, de franchir avec leurs canoës pimpants un passage rocheux dans le lit de la rivière. À la résistance du monde, ils opposent une énergie chargée de vacuité, oscillant entre fatalisme et comédie, comme à peine concernée par le monde.
Jusqu’au 14 octobre, MAC’s, Site du Grand-Hornu, Rue Sainte-Louise 82, Hornu (à proximité de Mons), Belgique, tlj sauf lundi 10h-18h, www.grand-hornu.eu
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Un miroir et trois chemins
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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°375 du 21 septembre 2012, avec le titre suivant : Un miroir et trois chemins